u'il pleuve, qu'il vente, qu'il neige. Par beau ou mauvais temps, été comme hiver, ils sont la, toujours présents au pied de ce grand acacia sous un abri de fortune. Il s'agit des écrivains publics.De cette précarité ils tirent leurs revenus d'où vivent de nombreuses familles. Ya oulidi, wen dja licrivin biblic (ça me fait rappeler la bible) me demande cette vieille dame, une grosse liasse de documents dans sa main .Ils sont là, juste devant, derrière et aux alentours de la vieille poste qui fait face au marchés couvert. Et pourtant la poste occupe de nouveaux bâtiments plus loin. Ils préfèrent demeurer ici à coté de ce vieux temple qui a tant marqué leurs souvenirs. Ammi Amor fait partie de ces vestiges. Ne lui posez surtout pas la question de savoir depuis combien de temps est-il là ?Il sait seulement qu'un jour ,mu par son besoin irrésistible de venir en aide et au secours de sa famille,il a frappé d'un coups de pied dans ce néant pour voir s'ouvrir devant lui cet espace où se fixa son destin, là dans la rue ,là où il a installé son « bureau ». Il exercera encore longtemps car, s'il intervient souvent pour la pension des autres, son travail à lui ne lui en a pas garanti une. Il sait seulement qu'il a usé des centaines, voire des milliers de plumes du Sergent Majors et des tonnes de feuilles avant de se doter et de s'adapter à ce nouveau moyen moderne qu'est la dactylographie. Le « bureau » de Ammi Amor n'est pas cet espace feutré et pompeux que nous rencontrons dans ces autres espaces qui constituent ces bureaux aussi fermés que clos qui régulent, régissent ou régentent la vie des autres. Ces « savants » d'un autre age ou ces écrivains publics sont plantés là depuis longtemps .Ils font partie presque de ces agencements ou ce décors de la rue .A bien regarder, on ne les perçois même plus. Ils sont assimilés à cet autre arbre, à cette clôture, à cette palissade ou à ce bout de trottoir défoncé. Leurs « bureaux » de plein air se limitent à de petites tables rudimentaires ou à des plateaux en bois sur lequel sont posées ou ostentatoirement exposées et mis en évidence ces vielles machines à écrire Remington pour les plus anciens avec à coté, éparses, quelques objets hétéroclites non moins savants .C'est la leurs seules enseignes professionnelles. Pour les plus jeunes ils s'accommodent d'une MAE portable de fabrication plus récente dotées de la même efficacité typographique .Ailleurs, ces engins d'une autre ère sont devenus obsolètes ou des pièces de musée constituant des curiosités pour les écoliers et les élèves des lycées. Ici, la solidarité est agissante. On se passe, stylos ; gommes, crayons carbones, bandes encrées. On se prête même les mots lorsque la mémoire a faillie. Allez demandez à cette vieille de partir à l'assaut de cette citadelle imprenable qu'est l'administration ? Si d'aventure elle pouvait y pénétrer, comment peut elle se mouvoir dans ses entrailles ou dans ses arcanes ? Elle y mourra, noyée, écrasée, rejetée. Si la machine de Ammi Amor n'est pas électrique pour faire plus rapide et dans la mode, il n'est pas moins que ses empruntes ont déjà versés de l'espoir dans beaucoup de cœurs et remplie bien des portefeuilles en argent Enfin la bonne vieille portant encore la M'laya, s'avança hésitante ,puis s'adressa au plus vieux qu'était Ammi Amor. Soumise à un long questionnaire, la vieille dame qui ne cessait de feuilleter sa liasse de documents finis par la lui confier entièrement. Après un moment d'observation et de lecture derrière ses grosses lunettes en écailles, il acquiesça de sa tête pour signifier l'acceptation de la prise en charge de son affaire. Aujourd'hui Ammi Amor traite une affaire importante .Sitôt la requête exprimée, son cerveau, tel un ordinateur , la catalogue immédiatement dans le registre approprié des « affaires courantes » liées à la caisse des retraites et des pensions de reversions,donc facile à traiter. Depuis le temps qu'il exerce ! Il ne fait maintenant aucun effort particulier de recherche. Il connaît ou presque toutes les adresses des organismes et des administrations ici comme à l'étranger ainsi que les démarches à faire. La rue de Flandre, Rue Mademoiselle dans le 15 em, La caisse des assurances maladies, la caisse de retraite et des pensions,les organismes associés à Paris comme en province ne sont d'aucun secret pour lui sans y avoir jamais mis les pieds. Les noms des responsables qui leurs sont rattachés étaient devenus eux aussi familiers mais il n'aime pas ce Graziani. Ca doit être un de ces pieds noirs ou un « Malti », aimait-il répéter. Toutes ses requêtes ou presque sont rejetées .La mêmes réputation et le même avis sont partagés par ses collègues d'infortune Il glisse sa main sous sa petite table, retire quelques feuilles au format standard, les ajuste après en avoir inséré du papier carbone au milieu,puis fixa le tout sur le tambour de sa machine à écrire. Il ajuste une dernière fois le tout et s'en va taper d'un seul doigt ,créant ainsi avec ses collègues cette ambiance déroutante , troublante et inquiétante des bureaux des commissariats où les inspecteurs de polices chargés des interrogatoires utilisent encore ces moyens désuets comme pour augmenter la tension et la pression sur les personnes interrogées. Wasmek ? Chkoun Bouk, Chcoun MM'ak ? Etc., c'est le même rituel et les mêmes préliminaires qui se répètent comme dans ces commissariats pour ces illettrés désarmés. L'écrivain public prend alors tous ses aises et manifeste son ascendant pour mieux dominer son sujet afin de lui soutirer ainsi la vérité , toute le vérité lui permettant de cerner la question pour la rédaction de la correspondance enfin. Ici, avec sa grande écoute, imperturbable, l'écrivain public est la clef de la résolution de nombreux problèmes qui se nouent. Vient la question de la délivrance et de l'acquittement des droits .Pour les correspondances habituelles et régulières, c'est comme dans la poste ,les tarifs sont syndicaux, connus de tous. Pour les dossiers plus lourds, les conventions s'établissent secrètement et discrètement car les échanges sont multiples et variés et les droits sont généralement perçus à la fin, en fonction du succès de l'opération et de l'importance surtout des mandats perçus ! Les bénéficiaires sont souvent généreux et ne manquent jamais de gratifier leurs « bienfaiteurs » en plus des traitements convenus. Telle des bibliothèques orales, combien de secrets en emmagasinent ces vieux écrivains publics ? . Il y en a même qui se donnaient à la rédaction de véritable courrier de cœur ou de sentiments ayant permis à de nombreuses relations et de vies communes. Il faut dire que Ammi Amor gagne sa vie à la faveur de sa vieille Remington et de sa mémoire vive, pas celle d'un ordinateur qui le concurrence outrageusement. La virtualité, se sont ces métiers en voie de disparition, remplacés ces bécanes ou ces machines avec des synthétiseurs qui n'obéissent qu'à des ordres provenant de l'on sait où ? On se prendrait alors à regretter le : BONJOUR simple et amical de Ammi Amor ou cette intonation intime qui nous imprime cette confiance ou cette assurance qui nous font défaut déjà. Cette fois ci hadja Roumila, c'est le nom de la vieille partit avec le sourire