Reconnu pour son talent et sa franchise, Saïd Mekbel billettiste et chroniqueur hors pair de l'ex journal « Le Matin », nous a prématurément quitté,il y a 18 ans exactement .C'était le 3 décembre de l'année 1994, le début de l'horreur d'une longue série de disparitions de grands chevaliers de la plume dont Saïd fût incontestablement le prince. Son dernier billet , écrit au soir de sa disparition , constitue un legs pour la profession afin de rappeler la difficulté d'être et d'écrire dans un contexte qui n'a pas trop changé depuis. Bravant toutes les difficultés et les défis du moment, Saïd s'était montré à la fois audacieux et courageux à un moment où le pays avait le plus besoin de ses enfants. Saïd avait coutume d'aller vivre avec le petit peuple. C'est en déjeunant dans un petit restaurant d'Hussein Dey, pas très loin de son lieu de travail que la furie meurtrière l'emporta .Physiquement peut être ;car Saïd Mekbel est toujours présent parmi nous. En souvenir de ce personnage humble , simple et attachant , en hommage à sa plume et à sa clairvoyance, nous publions ci-après son dernier billet prémonitoire. Ce voleur qui... * Ce voleur qui, dans la nuit, rase les murs pour rentrer chez lui, c'est lui. * Ce père qui recommande à ses enfants de ne pas dire dehors le méchant métier qu'il fait, c'est lui. * Ce mauvais citoyen qui traîne au palais de justice, attendant de passer devant les juges, c'est lui. * Cet individu pris dans une rafle de quartier et qu'un coup de crosse propulse au fond du camion, c'est lui. * C'est lui qui, le matin, quitte sa maison sans être sûr d'arriver à son travail. Et lui qui quitte le soir son travail sans être certain d'arriver à sa maison. * Ce vagabond qui ne sait plus chez qui passer la nuit, c'est lui. * C'est lui qu'on menace dans le secret d'un cabinet officiel, le témoin qui doit ravaler ce qu'il sait, ce citoyen nu et désemparé... * Cet homme qui fait le vœu de ne pas mourir égorgé, c'est lui. * Ce cadavre sur lequel on recoud une tête décapitée, c'est lui. * C'est lui qui ne sait rien faire de ses mains, rien d'autre que ses mains, rien d'autre que ses petits écrits, lui qui espère contre tout, parce que, n'est-ce pas, les roses poussent bien sur les tas de fumier. * Lui qui est tous ceux-là et qui est seulement journaliste. Mesmar Dj'ha, décembre 1994