Ce voleur qui, dans la nuit, rase les murs pour rentrer chez lui, c'est lui. Ce père, ce mauvais citoyen, cet individu, ce vagabond, cet homme, ce cadavre, ce témoin... » Tel est, en substance, le dernier billet prémonitoire du chroniqueur et directeur du Matin d'alors, en 1994, Saïd Mekbel. Cette année, c'est la triste commémoration du 10e anniversaire de son assassinat par la folie meurtrière terroriste et génocidaire en Algérie. C'était un certain 3 décembre 1994, Saïd Mekbel ne se doutait guère que ce serait le jour de sa dernière chronique. L'ultime, foncièrement posthume et visionnaire, intitulée Ce voleur qui... Mais la barbarie dépassant tout entendement humain avait décidé d'ôter la vie à un journaliste coupable d'avoir osé décrier et braver l'obscurantisme, l'intégrisme, la corruption, le fait du prince et la bêtise humaine, tous les extrémismes, à son corps défendant, et ce, en les brocardant au vitriol et autres coups de canif à blanc, de par une plume acerbe. Aussi Saïd Mekbel est-il devenu une cible privilégiée et expiatoire des groupes armés. Il était environ 11h30, Saïd Mekbel et deux autres journalistes se trouvaient dans un petit restaurant populaire à Hussein Dey, face au siège du journal Le Matin. Il avait rendez-vous avec la mort. Deux individus à l'allure anodine, leur donnant le bon Dieu en confession, l'ayant déjà guetté, entrent dans le restaurant et s'y attablent. Pris pour des journalistes, les deux terroristes virtuels mettent toute la clientèle en confiance, ignorant leur terrible dessein. L'un d'eux se lève et quitte la table en se dirigeant vers celles de Saïd Mekbel et des deux confrères. Ne se doutant de rien, ils croyaient avoir affaire à un lecteur admirateur venant le féliciter pour son dernier billet. Le terroriste abat froidement et lâchement Saïd Mekbel. Deux balles assassines en pleine tête. L'assaillant et son acolyte s'enfuient en laissant les journalistes hurlant de douleur et de dépit. Ce soir-là, au niveau du siège du journal Le Matin, régnait une ambiance déchirante de deuil. Son bureau sur lequel trônaient sa petite sacoche et ses inséparables lunettes cerclées était terriblement vide. Blessé grièvement, Saïd Mekbel sera transféré à l'hôpital de Kouba puis à celui de Aïn Naâdja où il décédera le lendemain à 15h30. Quelques jours auparavant, il confiait à ses confrères : « J'ai repris confiance, on s'en sortira ! » Une belle leçon de courage et d'espoir à méditer.