CLXXXXVIe nuit Sa femme voulut t?cher de le consoler. ?Ne vous affligez pas, lui dit-elle; je ferai ais?ment dix mille pi?ces d?or d?une partie de mes pierreries: vous en ach?terez une autre esclave qui sera plus belle et plus digne du roi. -Eh! croyez-vous, reprit le vizir, que je sois capable de me tant affliger pour la perte de dix mille pi?ces d?or? Il ne s?agit pas ici de cette perte, ni m?me de la perte de tous mes biens, dont je serais aussi peu touch?. Il s?agit de celle de mon bonheur, qui m?est plus pr?cieux que tous les biens du monde. -Il me semble n?anmoins, seigneur, repartit la dame, que ce qui se peut r?parer par de l?argent n?est pas d?une si grande cons?quence. -Eh quoi! r?pliqua le vizir, ne savez-vous pas que Saouy est mon ennemi capital? Croyez-vous que, d?s qu?il aura appris cette affaire, il n?aille pas triompher de moi pr?s du roi? ?Votre Majest?, lui dira-t-il, ne parle que de l?affection et du z?le de Khacan pour son service; il vient de faire voir cependant combien il est peu digne d?une si grande consid?ration. Il a re?u dix mille pi?ces d?or pour lui acheter une esclave. Il s?est v?ritablement acquitt? d?une commission si honorable, et jamais personne n?a vu une si belle esclave; mais, au lieu de l?amener ? Votre Majest?, il a jug? plus ? propos d?en faire un pr?sent ? son fils. Mon fils, lui a-t-il dit, prenez cette esclave, c?est pour vous: vous la m?ritez mieux que le roi. Son fils, continuera-t-il avec sa malice ordinaire, l?a prise, et il se divertit tous les jours avec elle. La chose est comme j?ai l?honneur de l?assurer ? Votre Majest?; et Votre Majest? peut s?en ?claircir par elle-m?me. ?Ne voyez-vous pas, ajouta le vizir, que, sur un tel discours, les gens du roi peuvent venir forcer ma maison ? tout moment et enlever l?esclave? J?y ajoute tous les autres malheurs in?vitables qui suivront. -Seigneur, r?pondit la dame ? ce discours du vizir son mari, j?avoue que la m?chancet? de Saouy est des plus grandes, et qu?il est capable de donner ? la chose le tour malin que vous venez de dire, s?il en avait la moindre connaissance. Mais peut-il savoir, ni lui ni personne, ce qui se passe dans l?int?rieur de votre maison? Quand on le soup?onnerait et que le roi vous en parlerait, ne pouvez-vous pas dire qu?apr?s avoir bien examin? l?esclave, vous ne l?avez pas trouv?e aussi digne de Sa Majest? qu?elle vous l?avait paru d?abord; que le marchand vous a tromp?; qu?elle est, ? la v?rit?, d?une beaut? incomparable, mais qu?il s?en faut beaucoup qu?elle ait autant d?esprit et qu?elle soit aussi habile qu?on vous l?avait vant?e. Le roi vous en croira sur votre parole, et Saouy aura la confusion d?avoir aussi peu r?ussi dans son pernicieux dessein que tant d?autres fois qu?il a entrepris inutilement de vous d?truire. Rassurez-vous donc, et, si vous voulez me croire, envoyez chercher les courtiers, marquez-leur que vous n??tes pas content de la belle Persane, et chargez-les de vous chercher une autre esclave?.