Abdeldjebbar Benyahia «Nous n'avons pas bien assimilé la leçon d'aujourd'hui, pourriez-vous, nous expliquer davantage?… Que ceux qui veulent mieux comprendre et bien saisir la leçon prennent des cours de soutien. Ceux qui y viendront, auront la chance de faire des exercices semblables à ceux donnés en devoirs et compositions… Parlez-en à vos parents et n'oubliez pas de leur parler des honoraires de ces cours privés. Les places sont limitées, alors dépêchez-vous de vous s'inscrire…» Cette conversation n'est pas extraite d'un texte d'une pièce théâtrale ou du scénario d'un film, mais elle est bien réelle et illustre parfaitement l'amertume et la gravité d'un phénomène qui ne cesse de s'instaurer et de se normaliser dans les milieux éducatifs… Un business qui se développe au détriment de la démocratisation de l'enseignement, pourtant garantie et instituée dans la constitution. L'école est gratuite, partout en Algérie, mais de nombreux parents choisissent d'allouer un budget destiné aux cours supplémentaires. Certains se plaignent de leur prix élevé, mais finissent par céder, sous la pression de leurs enfants. La demande pour des leçons particulières à Oran et dans notre pays d'une manière générale, augmente chaque année, notamment à l'approche des examens. Souvent les enseignants, assurant ces cours pour leur propre compte, réussissent à convaincre les parents qu'il s'agit là d'un moyen d'amélioration des chances de leurs enfants, mais les pédagogues mettent en garde contre des programmes d'apprentissage non réglementés. Ce phénomène prend de l'ampleur et des proportions alarmantes et en effet, de plus en plus d'élèves se mettent en quête de cours particuliers, après les heures de classe, à l'approche des compositions trimestrielles. Cet enseignement informel ne se limite pas à la préparation du baccalauréat et de nombreuses familles paient les services d'un tuteur, même pour les enfants qui sont au primaire ou au moyen. Des enseignants, dans toutes les matières, proposent des cours privés ou de "soutien", censés augmenter les connaissances des élèves et pour stimuler leur potentiel, lors des examens. De telles leçons sont prônées et arrangées, lors des séances de cours en classe et sont souvent données au domicile des enseignants ou dans des salles, louées à cette intention et pouvant accueillir plusieurs élèves à la fois. Si les cours privés ont toujours existé, il n'en demeure pas moins que le marketing et les procédés de leur commercialisation ont beaucoup évolué. Affichage sur les bus, distribution de dépliants aux passagers dans les rues et annonces publicitaires sur les journaux, sont entre autres, les moyens de commercialisation les plus pratiqués depuis quelques temps. Dans une école de cours de soutien Animés par une curiosité intense pour découvrir le monde des établissements de cours de soutien, nous nous sommes rendus dans l'un des plus prestigieux de la ville, en nous faisant passer pour des parents intéressés par l'inscription de nos enfants à ces cours. A l'entrée de l'établissement, ce sont deux charmantes demoiselles, très élégantes qui vous accueillent, avec un sourire de bienvenue. Dans cet établissement, rien n'est laissé au hasard. Tous les documents et les références d'information et de renseignements, sont mis à la disposition des postulants. Même les formulaires d'inscription qui comprennent les modalités du règlement des honoraires de ces cours, vous sont remis par le secrétariat de l'établissement. Je me suis donc adressé aux charmantes demoiselles en leur disant que j'étais intéressé pour inscrire ma fille de quatrième année moyenne et mon fils en classe de terminale. De toute évidence, l'inscription de deux élèves à la fois, nous a fait mériter un chaleureux accueil et un traitement assez agréable, pour le moindre qu'on puisse dire. Sur place, les agents d'accueil nous ont informés de tous les détails, sauf ceux relatifs aux prix des cours. Nous avons alors posé la question tant attendue: Combien coûtent les cours de soutien pour une élève de 4AM? La réceptionniste me demande alors les matières dans lesquelles je voulais inscrire ma fille. Je lui ai donc répondu que mon intérêt était de faire rattraper à ma fille, le retard accusé dans le programme annuel, vu les grèves répétitives, menées par ses enseignants… C'est ainsi qu'on nous a signifié que deux heures par semaines soit 08 heures par mois, pouvaient répondre aux besoins de ma fille. Evoquant la question des tarifs des différentes matières, l'on saura que pour les matières scientifiques, le prix est de 1.200 par mois. Pour les matières littéraires, il est de 1.000 dinars par mois, pour chaque matière. Un petit calcul pour le coût global du prix de revient de ces cours, ressortira à pas moins de 10.400 dinars par saison pour un élève de 4AM. Pour l'inscription d'un élève en classe terminale, les montants sont hallucinants, 1.700 DA pour chaque matière essentielle et 1.200 pour les matières secondaires pour un calendrier de 90 minutes par semaine soit 06 heures par mois. Autrement dit, pour l'ensemble des matières, une saison reviendra à 12 millions de centimes pour un élève qui se prépare à passer son baccalauréat. Nous avons demandé à la réceptionniste, s'il y avait beaucoup d'élèves inscrits dans cette école, la réponse a été plutôt ironique et très significative à la fois. «Je vous conseille, Monsieur, d'inscrire vos deux enfants le plus tôt possible, car vous risquez de ne plus trouver de places.» Pour nous convaincre davantage, la réceptionniste nous propose une petite visite guidée de l'école où se tiennent les cours de soutien. Sur place, j'apprends que la structure, abritant l'école, n'est en fait qu'une ancienne habitation qui a été réaménagée. Notre guide nous présente à la responsable en tant que parents de futurs élèves dans cette école, autrement dit, de futurs clients. En pénétrant à l'intérieur de la structure, c'est la grande stupéfaction… Les classes sont des pièces relativement étroites, sans fenêtres et sans aération, les élèves sont sans tabliers… Nous constatons aussi que le mobilier des classes de cours est identique à celui des écoles publiques. Dans les petites salles de cours, le tableau est posé à une distance d'un mètre des tables des élèves, ce qui expose les élèves aux risques, pouvant être engendrés par la craie. Dans ces écoles, les élèves ne portent pas de tabliers ou d'uniformes scolaires. L'autre fait grave que nous avons soulevé, à l'issue de notre brève aventure dans cette école, est relatif à la non-obligation des certificats médicaux. Que votre fils soit porteur d'un virus contagieux ou non, il pourrait accéder facilement à ces cours, sans aucune difficulté et tant pis, si ces camarades de classe soient contaminés. A la lumière des nombreuses anomalies révélées par notre visite dans cet établissement de cours particuliers, de nombreux experts pédagogues tirent la sonnette d'alarme contre les conséquences de ce phénomène croissant, particulièrement au niveau de l'école élémentaire, pour son impact potentiel sur l'éducation des enfants. Les parents ne semblent pas préoccupés par l'idée que leurs enfants puissent passer du temps à prendre des leçons particulières, tant que ces dernières viennent renforcer leurs connaissances et les aident à obtenir les examens. Pour eux, «l'argent n'est pas autant important que la réussite de leurs enfants.» Pour les professeurs, les choses sont vues autrement: «Les cours particuliers nous permettent d'assurer un revenu supplémentaire et d'améliorer notre niveau de vie.» L'Etat est donc le seul à pouvoir intervenir pour remettre un peu d'ordre dans ce secteur qui semble, pour le moment, échapper à tout contrôle ou droit de regard.