Pas une première Il est très rare que la presse officielle, dans un pays aussi verrouillé que l'Algérie, s'en flamme autant que ce qu'on a vu ces derniers jours. D'ordinaire, tous les crimes et dépassements sont banalisés, normalisés, voir démocratisés. Par contre, les dernières déclarations du secrétaire général du Front de Libération Nationale FLN, Amar Saidani, ont eu un retentissement sans égal et comme on en voit rarement. Pourtant ce n'est ici pas la première fois que Saidani formule une attaque frontale contre le patron du Département de Renseignement et de la Sécurité DRS (services secrets algérien, ex. Sécurité Militaire -SM-) : Mohamed Médine de son pseudonyme Toufik et de son surnom qu'il s'est octroyé : ‘'le seigneur de l'Algérie''. Saidani avait déjà engagé rappelons-nous une critique similaire en août dernier. Par contre, ce qui est nouveau, c'est que c'est la première fois que le général Toufik (qui n'apparaît jamais publiquement, et dont la voix est méconnue et que seules quelques images pirates sont disponibles) est accusé d'avoir échoué, et dans la totalité de ses fonctions, depuis qu'il est le patron du DRS voilà mine de rien un quart de siècle (exactement depuis le 4 septembre 1990). Critique totale Pour bien comprendre ces déclarations, il est important de les situer pour avoir plus de visibilité et de lisibilité. L'auteur/acteur de ces déclarations est Amar Saidani, qui est certes le nouveau secrétaire général de l'ancien (mais toujours influent) parti unique FLN, mais c'est surtout un personnage curieux qui est passé d'un danseur et percussionniste sans gloire dans une troupe de chants folkloriques, dans les années 80, à un leader d'une milice étatique dans la région du Oued, pendant les années 90, pour devenir finalement président du parlement algérien dans les années 2000. Les objections sont formulées directement contre le général Toufik dont, il y a peu, rien que le chuchotement de son pseudonyme faisait trembler le plus haut fonctionnaire de l'Etat, et de la plus spectaculaire des manières. Surtout que celui-ci (chargé de mythes) est désigné comme le décideur et le faiseur des politiques en Algérie. Mais mieux encore, cette attaque vient sur un fond de riposte contre la dernière frappe qu'a dirigée le général Toufik contre Bouteflika lorsqu'il a révélé plusieurs dossiers sensibles notamment l'affaire de corruption qui a fait tomber des proches du clan présidentiel, à leur tête Chakib Khalil, à l'époque ministre de l'énergie. Cette attaque vient aussi à un moment clé, puisque le contexte de scrutin présidentiel doit être tenu en compte. Une animation s'imposait visiblement, surtout à cause du boycotte des partis traditionnels et de l'implosion de nouveaux partis insignifiants ou candidats libres souvent à l'allure clownesque. Mais ce qui est réellement sans précédent, ce sont les accusations formulées par Saidani, contre Toufik, parce que tout simplement c'est la première fois que l'échec cuisant du patron des renseignements est montré de manière exhaustive et sur les dossiers qu'il gère en personne, à savoir l'espionnage et le contre-espionnage, l'implication et la gestion militaire des affaires civiles et politiques, la manipulation des médias (l'information et la contre-information), l'intrusion dans le secteur juridique et l'infiltration des partis politiques, et bien sur la désignation ou la liquidation des présidents en tête de l'Etat où a été citer le cas du président assassiné Boudiaf. Confirmation Saidani confirme donc que le DRS a la mainmise sur le pouvoir en Algérie que cela concerne le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif ou le pouvoir judiciaire. Et donc, que c'est le DRS le principal appareil décideur qui fait la pluie et le beau temps en Algérie. En l'absence de transparence dans la politique algérienne, on comprend désormais que la thèse la plus plausible est celle du conflit des clans, au sein du régime militaire algérien, entre l'aile des renseignements (à leur tête le général Toufik) contre celle de l'état-major (à leur tête Saïd Bouteflika – le frère d'Abdelaziz – et le général-major Gaïed Salah). Il faut comprendre que ce n'est donc pas Saidani qui est le responsable de ces déclarations, mais qu'il est une simple surface, une voix par procuration. Le fond de la réalité, est qu'un affrontement entre ces deux ailes fait feu pour qu'une aile (ou clan) se débarrasse de l'autre. Ceci est en soi une nouveauté, puisque la tendance relevée jusqu'ici été plutôt du conflit d'intérêts réglé par compromis, alors que désormais, c'est ouvertement un conflit pour la survie. Cet affrontement a montré ses prémisses depuis déjà une année. Il s'est accentué avec la dégradation de l'état de santé de Bouteflika, quand –sous l'ordre du DRS- des partis politiques ont appelé à ce que l'article 88 de la constitution soit activé pour évincer le président chroniquement souffrant. À quoi l'aile présidentielle a répliqué en appliquant les dispositifs de l'ordonnance 20 portant sur le statut général du personnel militaire, pour purger et pourquoi pas démanteler le DRS, en poussant ses grosses-têtes à la retraite. Suspens Mais si l'heure est au grand nettoyage au sein du régime, quelle va être la suite ? Il y a d'ores et déjà des voix qui crient à la probable démocratisation qui adviendra quand le DRS serait liquidé. Il ne faut surtout pas se leurrer. De ce conflit n'en résultera aucune démocratisation, tout simplement parce que le nettoyage se fait à un niveau interne et ce qui est en dehors de l'institution militaire n'est pas concerné. Aucune démocratisation n'est envisageable parce que les logiques en concurrences sont militaro-militaires. Quelle sera la réaction du général Toufik ? Est-ce qu'il a encore des tours dans son sac à nous montrer ? Où va-t-il privilégier (en dernier recours) le choix de la violence ? Quelle fin pour cette guerre qui semble impitoyable ? Autant de questions inquiétantes, parce que si le clan présidentiel détient l'avantage pour le moment, le clan DRS, lui, détient le pouvoir et les dossiers délicats voir compromettants. Et finalement l'offensive de Saidani n'a fait que remettre le score à égalité. En tout cas ile serait naïf de penser que l'éviction de Toufik est acquise. Mais on se demandera aussi jusqu'à quand le DRS restera le seul vrai décideur en Algérie. Moussaab Hammoudi