Après avoir longtemps protégé l'image de l'institution présidentielle malgré les dérives www.jeune-independant.net samedi 14 septembre 2013 20 Ecrit par Nordine Mzalla Délestage politique au DRS Depuis l'annonce du remaniement des services de renseignements, les analyses suggérées ici et là dans notre presse nationale supposent un coup de force du président Bouteflika à l'endroit du général Médiène Toufik, patron des services secrets. Pourtant, après tant d'années de protection garantie de l'homme et de la fonction présidentielle, il paraît non seulement inquiétant mais aussi un peu indigent de mettre au plat du jour la défaite de l'institution face à un clan. Le repli accepté par le DRS n'est-il pas une manœuvre pour se débarrasser enfin d'un clan présidentiel devenu ingérable ? Pour le commun des Algériens, «DRS» désigne la structure des services de renseignements dirigés par le général Médiène dit Toufik. Or, parce qu'on a aussi hérité, suite à la Guerre de Libération, d'une grande estime pour la Casquette, c'est-à-dire pour les militaires inscrits dans la lignée de la glorieuse ALN, la crainte du tout-puissant DRS s'est doublée d'une étonnante admiration – voire fascination – chez certains observateurs. Culte de la force dans une société encore archaïque ou adhésion patriotique à la mission de l'institution la plus solidement organisée de la République pour la sécurité du pays, pour la défense de la souveraineté nationale ? Chacun justifie sa tendance à s'intéresser outremesure «aux services». Cette peur-connivence, qui a certainement permis de recruter de nombreux agents discrets dans les différentes catégories socioprofessionnelles, a fini par exagérer le rôle du DRS (ou de la DRS si nous parlons de direction plutôt que de département, NDLR) au point où ce démembrement de l'ANP, qu'on appelle communément «les services secrets», se retrouve paradoxalement sous les feux de la rampe depuis quelques années. Perçu tantôt comme le responsable de toutes les dérives du régime politique, tantôt comme le dernier rempart contre la Présidence absolue, le DRS s'est finalement transformé en acteur principal des enjeux du pouvoir. Au fil d'une saga incroyable imaginaire ou réelle, tout en demeurant aussi invisible que son patron attitré, le charismatique Toufik dont on ne possède aucune photo récente dans les rédactions des journaux ou sur les sites spécialisés. Aujourd'hui qu'on apprend qu'un chamboulement aurait eu lieu au sommet de l'Etat pour restructurer nos services en leur ôtant une partie de leur pouvoir, la traditionnelle méfiance-complicité du journalisme national vis-à-vis des services de renseignements nous oblige à soupçonner un troisième degré d'analyse dans la refondation très pointue des prérogatives des services. Se faire oublier D'abord, il faut se souvenir que ces trois initiales (DRS), très usitées ces derniers temps, ont été précédées par deux autres lettres, qu'il était plus difficile de prononcer avec fantaisie durant les années de plomb qui ont caractérisé l'époque du parti unique. En effet, à part quelques téméraires opposants ou quelques vilains pontes du pouvoir qui les énonçaient comme une menace, qui osait alors articuler publiquement le sigle «SM» ? Entendre ici la Sécurité Militaire, ancien nom du DRS, organisé certes différemment mais prétendant aux mêmes délicates fonctions de contre-espionnage et de surveillance des faits et gestes des potentiels ennemis de l'Algérie ou de sa gouvernance. Par-delà l'évolution démocratique du rapport des citoyens à l'institution, il est à noter qu'il s'agissait clairement, à l'époque, d'une entité militaire. C'est-à-dire qu'on n'aurait pas pu s'étonner sous Kasdi Merbah, l'un de ses ex-chefs, que la Police judiciaire ou les enquêteurs de la SM se fassent auxiliaires des tribunaux militaires du pays. Il faut le souligner, contrairement à d'autres organigrammes du renseignement à travers le monde, comme la DST française relevant par exemple du ministère de l'Intérieur, en Algérie, les services sont intrinsèquement sous l'autorité du ministère de la Défense. En raison de la génèse du pouvoir post-indépendance, des adversaires du Congrès de la Soummam ou des partisans de celui de Tripoli... Il n'y a donc pas de glissement du pouvoir d'un Toufik résolument militaire de carrière vers Gaïd Salah, militaire lui aussi. C'est pourquoi, ce remaniement des structures du DRS, forcément associé à quelques nominations nouvelles et à des fins de fonction, vise probablement un autre objectif défendant beaucoup plus l'unité des troupes qu'on ne le croit : laisser penser que désormais les services n'ont plus la puissance d'influer sur les décisions politiques qu'on leur avait prêtée, pour retourner à leur travail de l'ombre, dans la discrétion perturbée chaque jour par les hypothèses favorables ou très accusatrices à leur sujet. Un peu comme un sous-marin regagne les profondeurs, pour se faire oublier. Dépolitiser les services En réalité, ce repli tactique du DRS est un peu comparable à la rentrée des chars d'une armée dans les casernes quand elle ne veut plus interférer dans les tensions politiques qui peuvent surgir en temps de crise. Officiellement, le DRS ne s'occupera donc plus ni de la presse, ni de la communication ni de la sécurité de l'Armée. Ces dossiers reviennent à des branches visibles de l'ANP, dans un exercice très légaliste remettant sous contrôle républicain les missions régaliennes parfois très stratégiques. Or, les experts en renseignements savent pertinemment que le propre des services c'est, comme disait le philosophe français Jean-Paul Sartre au sujet des intellectuels, «de se mêler de ce qui ne les regarde pas». Ce qui signifie que le DRS aura indubitablement encore à utiliser ses nombreuses fiches pour continuer son travail d'investigation et de surveillance avec un bémol : on lui demandera de dépolitiser un tant soit peu ses approches dans ses rapports confidentiels. En des termes plus concrets, le DRS n'aura plus ni à protéger les politiques ni à les enfoncer. C'est à un autre niveau que cela devrait se jouer, devant les tribunaux compétents, militaires ou civils quand les premiers se désaisissent de leurs dossiers. Un pas tactique qui permettra au DRS de survivre aux clans du pouvoir qui ont plusieurs fois voulu le compromettre ou le manipuler. Débarrassé des turbulences politiques externes, les services de Toufik n'auront plus qu'à assainir leurs rangs en maîtrisant les brebis galeuses tentées de garder prise sur la pratique politique directe ou sur le business. La gestion de fin de mandat de Bouteflika aura apporté ses enseignements : les moukhabarate doivent récolter le renseignement, son exploitation appartient à d'autres institutions de la République. Point d'Etat dans l'Etat. En rappelant le DRS au cadre de ses missions pour le neutraliser, Bouteflika pourrait perdre paradoxalement plus d'alliés dans l'armée qu'il n'en avait jusqu'alors. On pourrait même penser que Toufik s'est enfin libéré du cas Bouteflika et consorts. Ce qui expliquerait sa défaite singulièrement sereine.