Bachar el-Assad s'en frotte les mains. Considéré par Alain Juppé comme un "interlocuteur légitime" de la communauté internationale sur la Syrie, le Conseil national syrien (CNS) se déchire en interne. En effet, dimanche, la principale coalition de l'opposition au régime de Bachar el-Assad a vu vingt de ses membres faire défection pour créer une organisation concurrente : le Groupe patriotique syrien. "Le Conseil national syrien s'est formé sans parvenir à obtenir de résultats satisfaisants et sans être capable de répondre aux demandes des insurgés présents à l'intérieur de la Syrie", indique le groupe dans un communiqué transmis à Reuters. La création de la nouvelle instance, présidée par Haytham al-Maleh, un ancien juge et opposant de longue date, est le dernier revers en date pour une opposition minée par les désaccords. "Intervention étrangère, partenaires ou actions à mener contre Moscou, le moindre positionnement les oppose", affirme le spécialiste de la Syrie Barah Mikaïl (1). Déjà, en juin 2011 avait été créé un autre mouvement concurrent, le Comité national de coordination des forces de changement démocratique en Syrie (CNCD), qui regroupe des partis de gauche, kurdes, ainsi que des intellectuels syriens. Principal point de discorde entre les deux organes, la question de l'intervention étrangère en Syrie. Totalement exclue par le CNCD, elle est dorénavant publiquement évoquée par le CNS, depuis le pilonnage sans fin de l'armée syrienne contre la ville martyre de Homs. Pourtant, les deux partis ont fusionné le 30 décembre dernier au Caire, après avoir parachevé un accord autour des principes d'une période de transition en Syrie. Mais, coup de théâtre, deux semaines plus tard, le CNS fait volte-face. Son président, l'universitaire Burhan Ghalioun, va même jusqu'à démentir avoir signé le texte, expliquant que celui-ci "ne constituait pas un document politique", comme il avait été présenté par le CNCD. "Dans les faits, la frange islamiste du parti n'avait pas été consultée, ce qui a obligé Ghalioun à reculer", explique Barah Mikaïl. Le rôle du Qatar Si les grandes figures du CNS sont des laïcs, la majorité du Conseil est formée d'islamistes syriens, financés par le Qatar. Ce n'est donc pas un hasard si c'est dans l'émirat que s'est déroulé le 9 février le congrès du CNS, ou encore si c'est Doha qui a financé le sommet à Tunis des "Amis de la Syrie", où le CNS tenait la vedette au milieu d'une soixantaine de pays. "Le CNS n'est pas l'émanation de l'opposition syrienne, mais un groupe très disparate constitué et financé par le Qatar et appuyé par la France", affirme pour sa part le chercheur Fabrice Balanche (2). En mars dernier, Paris s'était déjà tenu aux avant-postes de la contestation en Libye, en étant le premier pays à reconnaître un organe semblable, le Conseil national de transition, aujourd'hui au pouvoir. "Le CNT disposait tout de même de membres à l'intérieur de la Libye", souligne Fabrice Balanche. "Le CNS, lui, n'est constitué que d'exilés, qui n'ont que très peu de contacts avec la révolte sur le terrain", ajoute le chercheur. Pour dissiper les craintes, le CNS se livrerait à de la communication en mettant en avant des "costumes-cravates", explique Barah Mikaïl. Son président, Burhan Ghalioun, vit en France depuis 30 ans. Son porte-parole, Bassma Kodmani, chercheur associé au Ceri (Sciences-Po), a quitté la Syrie il y a 43 ans. "Il existe chez ces personnes une aspiration à la diversité ethnique, religieuse et idéologique, mais elle est bloquée par les islamistes", renchérit le spécialiste. L'Iran visé Malgré des divergences manifestes, la France veillerait à ce qu'aucun autre groupe d'opposition n'émerge à l'étranger. Outre le soutien diplomatique, le Quai d'Orsay se serait opposé en octobre dernier à la tenue à Paris d'une conférence de presse de Syriens de l'intérieur, dont l'opposant historique Michel Kilo. "La France ne veut pas déplaire aux Qataris, avec lesquels elle entretient des liens diplomatiques et économiques privilégiés", indique Fabrice Balanche. Et l'émir Hamad ben Khalifa Al Thani aurait mis un point d'honneur à faire tomber Bachar el-Assad. "Le Qatar a lancé dans la région un mouvement de libération "frériste" (des Frères musulmans, NDLR) pour éviter que l'ensemble du monde arabe ne soit déstabilisé", analyse Fabrice Balanche. S'il a participé à l'intervention militaire en Libye, le Qatar entretient des liens très étroits avec les islamistes d'Ennahda en Tunisie, et avec les Frères musulmans en Egypte. "Le Qatar adopte une posture pragmatique en se plaçant aux côtés des forces du moment, qui sont les islamistes", note de son côté Barah Mikaïl. Autre ambition qatarie, l'affaiblissement, par l'intermédiaire de la Syrie, de son allié chiite iranien, bête noire des monarchies sunnites du Golfe. Et cela porte ses fruits. Après des tractations avec l'émir Al Thani, Khaled Mechaal, le chef politique du Hamas, organisation largement financée par Téhéran, a annoncé qu'il déménageait de Damas pour s'installer à Doha. Par Armin Arefi (1) Barah Mikaïl : directeur de recherche sur le Moyen-Orient à la Fondation pour les relations internationales et le dialogue externe (Fride) et auteur de La Syrie en cinquante mots-clés (éditions L'Harmattan) (2) Fabrice Balanche : maître de conférences à l'université Lyon-2 et directeur du Groupe de recherches et d'études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient (Gremmo).