Un rapport sur la Syrie a été rendu public vendredi à Paris par la délégation d'experts qui s'est rendue du 3 au 10 décembre dans ce pays pour évaluer « en toute indépendance et neutralité » la situation et rencontrer les protagonistes de la crise qui dure depuis des mois. Cette mission d'évaluation a été organisée à l'initiative du Centre international de recherche et d'étude sur le terrorisme et d'aide aux victimes du terrorisme (CIRET-AVT) et le Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Elle comprend Mme Saïda Benhabyles, ancienne ministre algérienne de la Solidarité nationale, Prix des Nations-Unies pour la société civile et membre fondateur du CIRET-AVT, Anne-Marie Lizin, présidente du sénat belge, Richard Labévière, écrivain et spécialiste des Proche et Moyen-Orient, ainsi que de Eric Denécé, directeur du CF2R. Dans la présentation du rapport, intitulé « Syrie : une libanisation fabriquée », ses auteurs ont, lors d'une conférence de presse animée en présence de nombreux médias français et étrangers accrédités, évoqué les origines et contexte de la révolte en Syrie et précisé que cette mission était précisément destinée à donner une autre vision que celle qui est véhiculée par les pays et médias occidentaux. Ils ont ainsi rappelé que, partie d'un mouvement social comparable à ceux qui ont changé la donne au printemps 2011 en Tunisie, puis en Egypte en Libye et au Yémen, cette accélération de l'histoire s'est vite transformée en une confrontation politique et une surexcitation interconfessionnelle fabriquée par des manipulations extérieures et qui s'est élargie, jusqu'à constituer l'épicentre d'une crise régionale et internationale évoquant une situation de « libanisation de la crise syrienne ». Sur la dimension médiatique de la crise syrienne, ces experts ont affirmé que la différence entre la situation sur le terrain et la vision qu'en donnent les médias anglo-saxons et arabes est extrêmement prononcée, soulignant l'intense campagne médiatique en action contre Damas. Ils ont en outre constaté, selon leurs propos qu'il existe deux formes d'opposition. L'opposition interne qui même si elle dénonce « l'absence de démocratie », refuse cependant toute ingérence étrangère dans les affaires intérieures du pays et revendique un règlement syro-syrien à la crise et aspirent à l'instauration de la paix. L'opposition externe, essentiellement basée à l'étranger, a des liens avec les régimes occidentaux qui plaident pour une intervention internationale. Abordant le traitement médiatique de la crise, les membres de la mission ont souligné que la crise syrienne est l'objet d'une « véritable guerre médiatique » impliquant des moyens de communication massive, conduite via les médias internationaux, les radios américaines, les médias libanais et que les médias francophones, qui « restent des acteurs très secondaires » dans cette affaire, et reprennent très souvent « sans les vérifier » les informations de grands médias arabes et anglo-saxons. Ils ont également constaté que la position de la presse internationale et des acteurs étrangers a été d'agir « comme absolument rien de vrai ni de bon » ne venait du régime de Damas qui était par principe responsable de toutes les fautes. « Cela a dressé l'opinion contre les pays occidentaux et leurs journalistes », selon un des témoignages cités par les membres de la délégation. Un autre témoignage rapporté affirme que personne n'a expliqué les tentatives du gouvernement syrien qui a annoncé un programme de réformes politiques pour anticiper à une révolution comme les autres printemps arabes, comme, aucun des médias internationaux ne couvrent les manifestations de refus de l'intervention étrangères qui ont pourtant lieu régulièrement. Les membres de la mission ont par ailleurs indiqué que les personnes interrogées sur le terrain se sont plaintes que l'on entende que « les voix de l'étranger » et que « les positions les plus dures » contre le régime viennent de l'étranger, de la presse internationale bien davantage que de l'intérieur. Ils ont également rapporté que plusieurs chaînes satellitaires arabes ont diffusé des images falsifiées d'Egypte ou du Yémen anciennes de plusieurs semaines à plusieurs mois, affirmant qu'elles avaient été tournées en Syrie et souvent ces prises de vue ne correspondaient ni à la saison ni à la météo du jour. « Al-Jazeera n'a fait que mentir de façon extrêmement révoltante et contribue directement à l'aggravation de la crise. Les incitations à la haine et aux affrontements interconfessionnels des médias arabes ont marché à Homs. La ville est tombée dans le piège des affrontements inter-religieux. Le pouvoir n'en est pas responsable. Ce sont les médias et les religieux étrangers qui attisent la situation », selon les propos du leader des femmes sunnites syriennes Hasma Kaftaro également citée à cette occasion. La seule personnalité officielle à avoir été interrogée par les membres de la délégation était Adnan Mahmoud, ministre syrien de l'Information, qui lui a affirmé que les médias internationaux « sont les acteurs les plus importants du conflit. Certains médias sont partenaires de groupes armés qui opèrent à l'intérieur, qui obéissent parfois même à leurs ordres. Les messages ne sont que diffamation et incitation à la haine. Les éléments du langage sont incitatifs à la violence et à la division, polarisent sur les ethnies et les confessions ». Les membres de la délégation soulignent aussi que face à ce torrent de désinformation, « largement infondé », le gouvernement syrien « mal préparé à la guerre de l'information, paraît totalement dépassé. Ses réactions sont maladroites, inappropriées et n'ont pas d'autre résultat que de renforcer la suspicion à son égard ». « Les plans de communication du gouvernement syrien visent prioritairement l'opinion intérieure et seulement à la marge, les opinions internationales. Les rares tentatives se sont avérées relativement contre-productives. Manque de préparation, non maîtrise des éléments du langage et du timing de la programmation, ces opérations se sont presque chaque fois retournées contre les autorités de Damas », lit-on dans la conclusion du rapport présenté à la presse.