Une mission d'information et d'évaluation de la situation en Syrie menée par Saïda Benhabylès en qualité de membre du Centre international de recherche et d'étude sur le terrorisme (Ciret), basé en France, Eric Denecé, directeur du Centre français de recherche sur le renseignement, et Richard Labevière, journaliste français indépendant spécialisé dans le dossier du Moyen-Orient et du terrorisme, membre également du Ciret, a permis d'établir un état des lieux de la crise syrienne autre que celui des médias, notamment des chaînes satellitaires d'information continue, ainsi que de la délégation onusienne qui a séjourné dans ce pays. Dans une déclaration au Temps d'Algérie, Mme Benhabylès a souligné que la mission qui avait effectué son enquête durant la période du 2 au 11 décembre dernier a pu rencontrer les principaux acteurs de l'opposition syrienne, de la société civile, des universitaires et intellectuels, ainsi que des représentants des communautés chrétienne, alaouite, sunnite, kurde et druze. L'initiative du Ciret est menée à titre indépendant et ne vise pas à blanchir les autorités syriennes. «Nous sommes partis à nos frais, sans aucune prise en charge, afin de constater de visu la réalité de la société syrienne et d'entreprendre un rapport objectif sur les derniers développements en Syrie. Nous avons bénéficié de toute la liberté dans nos déplacements. Nous avons pris les taxis sans aucune contrainte», a tenu à souligner d'emblée l'ex-ministre de la Solidarité nationale. La mission effectuée par les trois membres du Ciret devra constituer une référence pour les délégations de la Ligue arabe qui auront à se rendre en Syrie. Un rapport détaillé sera publié, selon notre interlocutrice, vers la mi-janvier, et sera diffusé à grande échelle afin d'informer l'opinion publique sur la réalité syrienne «loin de toute influence». Le témoignage de l'opposition interne «J'ai eu des éléments d'information qui confirment l'existence d'une manipulation médiatique en Syrie. L'opposition syrienne interne est farouchement contre le régime de Bachar Al Assad. Cependant, elle reconnaît qu'elle a été marginalisée par la presse occidentale et arabe. Selon les acteurs de la vie politique syrienne, l'Occident a créé une certaine opposition basée à l'étranger dans le cadre de ce conseil national de transition. En dehors des figures appartenant aux Frères musulmans qui ont une certaine assise, les autres membres du conseil sont à la solde des pays étrangers, dont on peut citer la France, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis d'Amérique, la Turquie et le Qatar. Sous la pression de la Ligue arabe, ces représentants de l'opposition interne ont rencontré ceux établis à l'étranger au Caire. Les membres de l'opposition interne ont dû cotiser pour louer des chambres dans de petits hôtels. Par contre, les représentants du Conseil national syrien ont été hébergés dans des grands hôtels. Les membres de l'opposition interne nous ont confié que les représentants du CNT subissent une pression du Qatar qui finance leurs activités, et que la Turquie aurait promis d'intervenir militairement pour renverser le régime syrien, a tenu à ajouter Mme Benhabylès, certifiant que les témoignages et les déclarations des acteurs syriens ont été filmés et enregistrés de manière à apporter des preuves irréfutables sur la crise syrienne. «Les opposants syriens disent que la création du CNT a été faite pour légaliser éventuellement toute ingérence. S'agissant de l'Observatoire syrien des droits de l'homme basé à Londres, son responsable est discrédité par tous les partis que nous avons rencontrés. Ils estiment que cet observatoire a fait de la souffrance du peuple syrien un véritable fonds de commerce», a affirmé notre interlocutrice. Mère Marie-Agnès de la Croix en veut à l'ONU L'une des personnalités «neutres et objectives» rencontrée par la mission du Ciret est Mère Marie-Agnès de la Croix, «éminente personnalité religieuse en Syrie», de nationalité française, de père palestinien et de mère libanaise. Cette figure de la communauté chrétienne s'est indignée du fait que le rapport des droits de l'homme réalisé par une délégation de l'ONU n'a pris en compte que la version d'une partie de l'opposition, sans prendre l'avis des autres parties, notamment les kurdes, les chrétiens, les personnalités sunnites et alaouites dans le cadre de la crise actuelle. Mère Marie-Agnès est une référence. Sa famille s'était battue contre l'occupation syrienne du Liban. Elle avait toutes les raisons de s'attaquer au pouvoir, mais elle a préféré ne pas parler dans les forums politiques. Elle était interpellée par les massacres de la population innocente commis par des terroristes. Et malheureusement, des médias occidentaux l'ont accusée de travailler pour les moukhabarat syriennes. Elle est stupéfiée par ces accusations, elle qui refuse le chaos et l'écoulement du sang, a livré Mme Benhabylès. Pour Mère Marie-Agnès, le rapport de l'ONU sur les droits de l'homme avait accablé le gouvernement syrien alors qu'il n'a puisé sa source que d'une partie de l'opposition syrienne. «Une grande masse silencieuse objective dans son analyse n'a pas été écoutée», souligne-t-elle. L'opposition, qui reconnaît l'inexistence de la démocratie, demeure attachée à la paix et au fait que la liberté de culte demeure exemplaire dans la région du Moyen-Orient. «Ils ont compris l'enjeu et disent que les Occidentaux veulent casser justement cette cohabitation pacifique et trouver une raison de s'ingérer dans nos affaires internes. Les grandes personnalités syriennes sont complètement boycottées», a relevé la représentante algérienne du Ciret. «Des terroristes s'emparent de Homs» Considéré comme le bastion de la «contestation pacifiste», Homs est loin de l'être, selon le témoignage des acteurs syriens. La représentante de la communauté chrétienne avait confirmé à la délégation du Ciret que le terrorisme règne désormais à Homs et que la ville n'est pas entre les mains de l'armée syrienne. «Nous avons eu des enregistrements des massacres de citoyens innocents. En tant qu'Algérienne, j'ai été doublement bouleversée non seulement par les témoignages, mais aussi par la situation que j'ai vécue moi-même en Algérie durant la période du terrorisme. Il y a une similitude entre les actes terroristes commis à Homs et ceux du Groupe islamique en Algérie. Ce sont les mêmes scènes que j'ai vues aussi à Zaouia, en Lybie. Les syriens ont reconnu qu'il y a eu une offensive médiatique internationale sur la situation interne, à telle enseigne que le gouvernement n'a pas pu y faire face. Le mouvement pacifiste déclenché au début de mars dernier a été dévoyé et est exploité aujourd'hui par des groupes «salafistes extrémistes dotés d'armes sophistiquées provenant de l'étranger», souligne la délégation du Ciret, interpellant l'opinion mondiale et les médias à être vigilants et neutres sur les évènements actuels en Syrie. Pour preuve, l'ex-ministre a cité le témoignage d'une femme chrétienne «qui a perdu son fils, Sari, âgé de 9 ans, tué dans un marché par un groupe terroriste à Homs, et dont la scène a été filmée et diffusée sur la chaîne El Jazira qui a attribué ce crime aux forces militaires syriennes. Cette victime qui a avait démenti que son fils a été assassiné par l'armée syrienne veut attaquer la chaîne qatarie pour cette manipulation grossière», a ajouté Saïda Benhabylès, tout en relevant que lors de la mission, de nombreuses personnalités syriennes ont été offusquées du traitement médiatique réservé à la crise qui frappe leur pays, et visant à semer le chaos et non à «aider le peuple à se relever de cette situation». Quant à l'avenir, il demeure «quasiment incertain» aux yeux des personnalités et acteurs rencontrés par la délégation du Ciret. Les Syriens veulent une solution syro-syrienne, espérant que «la raison va prévaloir sur la haine et la paix sur la guerre».