L'Inde a lancé jeudi avec succès un premier missile d'une portée supérieure de 5.000 kilomètres. Un essai presque salué par la communauté internationale, qui fait entrer New-Delhi dans le cercle restreint des pays capables de transporter des charges nucléaires sur une longue distance. Un satisfecit des proliférants qui tranche avec les critiques unanimes de la communauté internationale après le piteux échec de la fusée nord-coréenne qui n'aura pas réussi à franchir la barre des 70 kilomètres... Deux poids, deux mesures. Alors que la Corée du Nord a été vilipendée par la communauté des états –hormis la Chine- pour un test de missile-fusée échoué piteusement en mer jaune après 70 laborieux kilomètres de vol, l'Inde, de son côté, a reçu un satisfecit de la quasi-totalité de la communauté internationale après le succès d'un tir d'essai du missile intercontinental Agni V, capable de transporter des charges nucléaires. « Poursuivez vos efforts nucléaires » a presque applaudi le maître américain. La tonalité est quelque peu différente en Chine. Pékin a mis en garde New Delhi, lui conseillant «de ne pas se montrer trop arrogante» après cet essai réussi. «L'Inde doit être consciente que l'énergie nucléaire de la Chine est plus forte et plus fiable. Dans un avenir prochain, l'Inde n'aurait aucune intérêt à se lancer dans une course aux armements avec la Chine » pouvait-on lire dans le Global Times, le journal porte-voix officiel du Parti communiste. Un commentaire qui trahit des signes de nervosité parmi les sections bellicistes du Parti communiste chinois. C'est que certains journaux indiens n'ont pas caché les objectifs de cet essai, qualifiant Agni V de « China Killer ». Alors que les premiers missiles Agni permettaient à l'Inde de renforcer ses frontières et de se protéger contre son ennemi le plus proche, le Pakistan, les séries IV et V ont t été conçues comme une arme dirigée contre les Chinois. Les tensions territoriales entre les deux pays restent nombreuses et New-Delhi s'est lancé depuis plusieurs années dans un vaste programme de modernisation de son armée et de ses matériels. Outre l'acquisition à la France de plus d'une centaine de Rafale, derrière sa façade mythologique de pays pacifiste, selon le SIPRI (Stockholm International Peace Research Institute), l'Inde est depuis plusieurs années le plus important pays importateur d'armes au monde ! De son côté, Liu Weimin, le Ministre chinois des affaires étrangères a plutôt tenté de calmer le jeu considérant que cet essai ne devrait pas être considérée comme une course aux armements mais envisagé dans la voie d'une meilleure relation entre les voisins himalayens : « Nous ne sommes pas concurrents mais partenaires de coopération. La Chine et l'Inde sont toutes deux des puissances émergentes ». L'Inde a ainsi fait coup double. Un tir de missile réussi et une entrée en fanfare dans le cercle très fermé des pays maîtrisant la technologie des missiles longue portée. Seuls la France, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la Russie et la Chine appartenaient à ce club. Capable de porter des têtes nucléaires à 5.000 kilomètres, le missile Agni-V met à portée de tir Pékin, Téhéran, Djakarta, Manille, ou encore l'est de l'Europe. «À partir d'aujourd'hui, l'Inde est une nation capable de développer et de produire des missiles balistiques de longue portée. À présent, nous sommes parmi les six pays à posséder cette capacité», s'est aussitôt félicité devant les caméras de télévision, Vijay Saraswat, le chef de l'India Defense Research and Development Organization (DRDO). La Corée du Nord, nation condamnée Les puissances occidentales, et les Etats-Unis au premier chef, ont affirmé qu'il n'y avait aucune raison de s'inquiéter du lancement de la fusée indienne. Mercredi, l'Otan a estimé que l'Inde ne constituait pas une menace. L'Inde entre ainsi surtout dans le club des proliférants adoubés…par l'occident. Un ton qui tranche avec la condamnation unanime du tir de la fusée nord-coréenne, par l'ONU, l'Europe. La Maison Blanche avait immédiatement évoqué « une provocation qui menace la sécurité régionale, viole la loi internationale et contredit (les) engagements récents » du pays. « L'important ce n'est pas la lance, mais qui tient la lance » a justement commenté Rahul Bedhi, correspondant en Inde de la revue américaine de Défense Jane Defense Weekly, « La Corée du Nord est une nation condamnée, un pays paria. La Corée du Nord n'a cessé de rompre les accords sur le nucléaire alors que l'Inde s'est montrée plutôt prudente ». Fondé sur le principe d'inégalité, les grandes puissances font encore la démonstration de leur intransigeance sélective si ce n'est pas de leur parfaite hypocrisie. Le TNP accorde le droit à cinq états de posséder l'arme nucléaire et de fait à ces mêmes états d'accorder ou non le droit à un autre état de développer un programme nucléaire. Si la démocratie indienne ne saurait être comparée à la dictature nord-coréenne, il n'en reste pas moins que l'Inde -tout comme l'Israël et le Pakistan- n'ont jamais signé le Traité de non-prolifération nucléaire et sont aujourd'hui des puissances nucléaires. De son côté, la Corée du Nord a signé le TNP, mais l'a violé à plusieurs reprises avant de s'en retirer en 2003 en contreparties de garanties de sécurité. « Hors de la bipolarité, le TNP est une fiction », constatait le chercheur en relations internationales, Bertrand Badie « En fait, on reproche à des Etats de ne pas obéir à un TNP auquel ils ont adhéré, mais on n'a jamais vraiment reproché à quiconque de choisir tout simplement de ne pas y adhérer.. ». De là, à en conclure que pour développer en toute tranquillité sa technologie nucléaire, mieux vaut ne pas signer les Traités de Non-Prolifération…