Brahim Younessi En 2007, Céline Braconnier et Jean Yves Dormagen sortaient un livre au titre éloquent « La démocratie de l'abstention » dans lequel ils apportaient la démonstration de la démobilisation électorale dans les milieux populaires en France. Ces milieux [ouvriers, employés], disent les auteurs, « constituent une majorité sociale, mais, de plus en plus, une minorité électorale ». L'abstention qui atteint à certaines élections plus de 50% du corps électoral y est analysée comme une menace pour la démocratie dans un pays où celle-ci est ancrée depuis deux siècles. Les partisans de la démocratie dans les pays qui subissent l'autoritarisme des Etats ne comprennent pas toujours que l'on s'abstienne, que l'on n'utilise pas cette arme qu'est le bulletin de vote dans les espaces démocratiques pour changer de politique, changer la vie, changer la société. En démocratie, l'abstention est un signe de défiance à l'égard du personnel politique et des institutions, un signe de malaise, de désespoir et de déception des électeurs. L'abstention devient alors un « vote » sanction qui révèle la crise de la démocratie occidentale. En revanche, lorsqu'elle s'exprime dans les pays qui utilisent les élections comme un artifice démocratique dans des systèmes fermés qui ne tolèrent pas le changement voire l'alternance par les urnes, l'abstention dénonce l'illégitimité du pouvoir et l'irréalité du pluralisme politique, cette façade qui n'a jamais caché la domination de l'armée et de ses services que d'aucuns considèrent, en Algérie, comme la colonne vertébrale de l'Etat, ainsi que la prépondérance d'un seul parti et d'une seule pensée. Le simple fait de voter, c'est reconnaître la toute puissance d'un pouvoir en décomposition avancée, c'est lui donner un chèque en blanc pour poursuivre son œuvre dévastatrice et nuisible pour l'Algérie et le peuple algérien. La participation aux élections législatives du 10 mai prochain est pire qu'un crime, c'est une faute politique impardonnable et une trahison morale qui corrompt le sens même de la démocratie. Lorsque l'intérêt partisan, privé et personnel prime sur le bien commun, sur l'intérêt général, sur l'intérêt du peuple et de la nation algérienne, la dictature n'a pas à craindre pour son avenir. Face aux duperies démocratiques, l'abstention ne peut être interprétée que comme la preuve de la bonne santé de la population qui refuse les compromissions, les transactions et le marchandage électoraux. Des sièges dans une Assemblée populaire nationale soumise au pouvoir des services de sécurité qui habilitent des partis et des candidats et en récusent d'autres, et à celui de l'argent qui corrompt, contre la simple participation est le deal passé entre un pouvoir qui se cherche désespérément une sortie et des partis qui remboursent leurs dettes. Jean-Jacques Rousseau nous avait enseigné que le peuple pouvait être trompé – il l'a souvent été – mais il ne peut, jamais, être perverti. Les candidats de tous les « partis » triés sur le volet pour prendre part à ces élections jouées d'avance, sont envoyés au charbon par le pouvoir qui s'inquiète du taux de participation avant de se préoccuper de la vie quotidienne immédiate des Algériens qui se scandalisent de les voir envahir leurs espaces et leurs quartiers abandonnés au chômage, à la misère, à la violence, à la drogue et à la saleté, où la plupart d'entre eux n'ont jamais mis les pieds. La population n'est pas dupe, elle ne l'a jamais été, à l'exception peut-être des premières années de l'indépendance. Les discours surannés qu'elle entend, la médiocrité qu'elle constate, le verrouillage qu'elle réprouve, la cupidité qu'elle perçoit ne peuvent que l'inciter à s'abstenir de se rendre aux urnes. Sans changement profond et radical du système qui sévit depuis un demi siècle déjà, le peuple algérien peut se passer de toutes les assemblées [APC, APW, APN, CN]. Il a d'ailleurs vécu durant plus d'une décennie, de 1965 à 1977, sans Assemblée nationale et sans Conseil de la nation, et comme dans toutes les dictatures du monde, le pouvoir a fait descendre une avalanche de lois, de règlements, de décrets et d'ordonnances qui n'ont coûté que le prix de leur publication au Journal officiel. Depuis 35 ans, le peuple algérien paie trop cher, humainement et financièrement, une fiction démocratique qui occasionne annuellement des dépenses colossales : 1285 milliards de dinars, soit 17 milliards de dollars ou 13 milliards d'euros qui serviraient plus utilement à la construction de logements, à la création d'entreprises, à l'indemnisation des chômeurs, à l'augmentation des salaires des personnels de la santé, des enseignants, à l'aide aux familles sans ressources et aux femmes isolées…