Un documentaire "Un poète peut-il mourir ?" en hommage au défunt écrivain journaliste Tahar Djaout, sera projeté en ouverture du Festival du film amazigh, prévu du 19 au 23 mars à Tizi-Ouzou, a-t-on appris auprès du réalisateur, établi en France. D'une durée de 70 minutes, l'oeuvre, signée Abderrazak Larbi-Cherif, retrace le cheminement, à la fois bouleversant et bouleversé, de celui qui fut le premier journaliste à être assassiné par les terroristes en Algérie, en 1993. Depuis son enfance dans son village natal d'Oulkhou, à Azeffoun ( Grande Kabylie), jusqu'au summum de sa carrière intellectuelle lorsqu'il fut admis dans la cour des Grands aux éditions du Seuil à l'âge de 33 ans, Djaout est dépeint autant par ses proches que par des critiques littéraires et journalistiques, nationaux et étrangers. Sa soeur Tassadit se rappelle, sur fond d'un poème écrit par sa mère à la mémoire du regretté, d'un Tahar assoiffé de savoir depuis sa tendre enfance : "avant même l'âge légal de scolarisation, il remuait ciel et terre pour qu'on le fasse rentrer à l'école", confie-t-elle. Un "caprice" auquel les parents ne pouvaient céder, en cette fin des années 50, le pays vivant sous le joug colonial. Mais c'était sans compter sur la témérité du bambin qui, mettant à profit la récréation à l'école, a fini, au grand étonnement des enseignants de se frayer un chemin jusqu'au pupitre. Après une brève scolarité à Oulkhou, le jeune Tahar rejoint Alger où il obtint son baccalauréat en 1970, année où, malgré son profil de matheux, il commence à s'intéresser au verbe, en marquant des contributions dans les revues "Promesses" qui paraissait en Algérie, "Alif" en Tunisie et "Souffle" au Maroc. Le romancier et membre de l'académie Goncourt, Tahar Bendjelloun évoque, en décortiquant les premiers essais de Djaout, un poète "révolté", signalant que c'est l'une des caractéristiques essentielles de l'écrivain. "Il n'existe pas de poète gentil", opine-t-il. L'écrivain Ben Mohamed, parolier de la célèbre chanson Vava Inouva de Idir, reconnait en Djaout celui qui a pu rendre une "lecture transparente"de la question culturelle en Algérie post-indépendance. Dans une conférence au Centre culturel algérien à Paris, l'auteur des Vigiles définissait, la "nouveauté" de ces poètes post-indépendance par le fait qu'ils "échappent, dans leur majorité, aux limites sclérosantes de l'objectivisme et de la célébration utilitaire. Ces poètes qui ne refusent pas d'avoir peur ou de douter". Le documentaire retrace, plus loin, le passage de feu Djaout du profil de ciseleur des mots à celui de romancier, puis au journaliste à la plume acerbe. "Un poète peut-il mourir ?", un documentaire en hommage à PARIS, (APS) - De cette dernière expérience journalistique, ses anciens collègues à Algérie Actualité, Abdelkrim Djaad et Arezki Metref parlent d'un Djaout "plus engagé, rejetant tant le pouvoir que les thèses islamistes", en ce début des années 1990. Ses positions seront clairement affichées dans l'hebdomadaire "Ruptures" qu'il a fondé avec les deux collègues sus cités en janvier 1993 et dans son ouvrage Post-mortem "Le Dernier Eté de la Raison" Le Seuil, 1999. Louis Gardel, des éditions Le Seuil, évoque un "texte politique très engagé" en parlant de la dernière oeuvre du défunt écrivain qui, déjà, s'interrogeait : le printemps reviendra-t-il ? Au terme d'une séance de projection, le réalisateur Abderrezak Larbi Cherif, a surtout souligné l'homme d'ouverture qu'était Djaout. Son déplacement au milieu des années 60 à la Casbah d'Alger, ses formations et ses activités, littéraires notamment, en France ont fait de lui un personnage à la fois attaché à ses racines, mais aussi d'une pensée universaliste, a-t-il confié à l'APS. Pour lui, les écrits de Djaout "nous parlent encore aujourd'hui car les questions qu'il a posées demeurent toujours sans réponse. "L'enfant d'Oulkhou est la synthèse de ce qu'est l'Algérie que nous voulons : attachée à ses racines, ouverte sur le monde et à la recherche de l'excellence". "Un poète peut-il mourir ?" est la deuxième oeuvre filmique de Abderrazak Larbi Cherif. En 2010, il avait décroché l'Olivier d'Or au festival du film amazigh de Tizi-Ouzou avec son portrait "Kamel Hamadi, l'art en fréquence", une réalisation également primée au Festival international de Marrakech (Maroc), en octobre dernier. Sorti de l'Institut de journalisme d'Alger en 1991, Abderrazak Larbi Cherif entame sa carrière professionnelle à la chaîne kabyle de la radio nationale avant de partir en France où il rejoint, en 2001, Berbère TV en qualité de journaliste et animateur d'émissions politiques. Actuellement, il exerce à France 24. La 11 eme édition du film amazigh se tiendra cette année à Azeffoun, région natale de Tahar Djaout. Déclinée sous le thème "Azeffoun à l'honneur", elle présente une originalité : en plus de la sélection officielle "Olivier d'or", une catégorie "Prix panorama amazigh" sera sanctionnée pour la première fois par une distinction visant à créer l'émulation et encourager l'émergence de jeunes talents.