Au-delà de la loi sur l'information d'avril 1990 et sa révision imminente en vue d'élargir le champ de la liberté de la presse et d'expression, les questions liées à l'exercice du journalisme, comme la censure et l'autocensure, continuent de se poser avec acuité dans les médias publics autant que ceux relevant du secteur privé. Pour le directeur de la publication du quotidien arabophone privé El Khabar, Arezki Chérif, approché par l'APS, il y a un "net recul" de la liberté d'expression, caractérisé, a-t-il dit, par l'autocensure, déplorant "les pressions du pouvoir politique" qui s'expriment, selon lui, à travers des "menaces de redressement fiscal". Le directeur du quotidien francophone privé El Watan, Omar Belhouchet, a mis en avant, de son côté, dans une conférence jeudi dernier sur "la presse privée et le service public", l'idée que la majorité des journalistes, qui sont passés à partir de 1990 dans la presse dite indépendante, exerçaient d'abord dans le secteur public, étaient dans l'ensemble "de culture politique de gauche" et aspiraient donc à ancrer la notion de service public dans leurs titres respectifs. Affirmant que la notion de service public était actuellement "une valeur ancrée à El Watan", Il a exprimé son optimisme devant ce qui se passe dans le secteur public où, selon lui, des journalistes s'élèvent de plus en plus contre la censure. Cette approche est partiellement partagée par des journalistes du secteur de la presse privée qui, comme Hamid Yacine, regrettent la censure qui sévit, a-t-il admis, dans les rédactions. Pour Hamid Yacine, journaliste permanent à El Khabar depuis la première moitié des années 1990, la censure est une "réalité" dans le secteur public comme dans le secteur privé. Affirmant, à cet égard, qu'il avait lui-même connu la censure au sein de son journal, il attribue cette pratique plus une large part au souci des éditeurs de "défendre leurs intérêts matériels". "Les éditeurs ne reconnaissent jamais le fait de la censure et ils invoquent souvent l'argument que l'article censuré a été fait sous une influence extérieure", a-t-il observé. S'agissant de l'autocensure, ce journaliste d'El Khabar est tout aussi catégorique sur cette question et affirme que "l'autocensure touche pratiquement tous les journalistes". Pour lui, l'autocensure s'explique notamment par la pression juridique due à la pénalisation du délit de presse ainsi que par des "pressions extérieures aux rédactions quand ce n'est pas de l'intérieur même du journal". Le même constat est partagé par Aicha Belkacemi, journaliste depuis 10 ans à la chaîne une de la Radio nationale, qui soutient que la censure existe dans la presse nationale, tous secteurs confondus, précisant toutefois qu'elle était diversement pratiquée. Cette productrice d'émissions radiophoniques explique que les éditeurs privés et les responsables des organes de la presse publique "invoquent, souvent à tort, le sempiternel argument de la ligne éditoriale", ce qui l'amène à plaider pour une réorganisation de la presse nationale afin de la rendre plus professionnelle et pour ancrer dans les esprits la notion de service public. De son côté, le secrétaire général par intérim du Syndicat national des journalistes (SNJ), Kamel Amarni, croit fermement que la liberté d'expression a "nettement reculé" depuis ces dernières années, et particulièrement depuis 2004", et invoque en cela le climat d'autocensure instauré, à son avis, par les "pressions" de l'autorité politique par le biais de la manne publicitaire et de l'imprimerie. Responsable du seul syndicat autonome des journalistes dans le pays, Kamel Amarni insiste sur le fait que son syndicat avait toujours demandé à ce que le statut de l'Agence nationale de publicité (ANEP) soit revu et de réorganiser la publicité étatique. Il plaide aussi dans le cadre de l'élargissement de l'espace de la liberté de la presse, pour l'ouverture du champ audiovisuel au privé, préconisant, cependant, l'instauration d'un cahier des charges clair et fermé à toutes les interprétations possibles. Allant à contre sens de cette approche, le journaliste Zoubir Khelaïfia, journaliste salarié depuis 24 ans, actuellement chroniqueur au Jeune indépendant et adhérent à "l'Initiative nationale pour la dignité de la presse", pense que l'autocensure est ancrée en chaque journaliste algérien pour la simple raison, selon lui, que les responsables de titres "préfèrent pratiquer un journalisme qui a troqué les valeurs de la profession contre les revenus commerciaux". Notant que "la presse obéit, de fait, au pouvoir de l'argent", il en déduit que "la notion de service public s'est éclipsée depuis bien longtemps". Pour lui, le temps est venu de mettre de l'ordre dans la profession, dans le secteur public comme dans le secteur privé. "Il faut revenir aux valeurs universelles qui régissent la profession et surtout à la notion du droit du citoyen à une information objective", insiste-il. Ce chroniqueur a toutefois mis l'accent sur la précarité de la situation socioprofessionnelle des journalistes dans les deux secteurs, y compris dans les titres à grand tirage, disant que la situation sociale du journaliste est telle qu'il ne pèse pas lourd dans la machine de l'information et qu'il est sujet, de ce fait, à tous les chantages, de l'intérieur comme de l'extérieur. Moins pessimiste, le directeur de la publication du quotidien privé La Tribune, Bachir Chérif Hassen, trouve, quant à lui, que la situation de la presse nationale "n'est pas aussi catastrophique que l'on pense" et qu'elle reste confrontée au défi de modernité, autrement dit "se mettre simplement au service des citoyens et de leurs attentes". Pour lui, le nouveau défi de la presse algérienne réside dans la professionnalisation du métier, c'est-à-dire favoriser un journalisme "mature", basé sur l'éthique et la déontologie. A propos de la censure, Bachir Chérif se montre lui aussi péremptoire: cette pratique existe dans la presse publique comme dans la presse privée. Il a décrié, à ce propos, ce qu'il a qualifié de "velléités de certains de monopoliser la question de la liberté d'expression pour imposer une sorte de monopole de la pensée unique". Tout en estimant que la notion d'indépendance de la presse "exige un débat", il trouve que c'est la presse du secteur public qui "anime actuellement le véritable débat sur les problèmes de la presse, notamment autour des problèmes socioprofessionnels, loin des prismes de l'idéologie". C'est à ce titre qu'il a déploré le fait que certains journaux recourent à la censure dès qu'il s'agit d'intérêts de lobbies à préserver, regrettant une certaine mainmise du pouvoir de l'argent sur une partie de la presse algérienne.