Que serait la presse algérienne aujourd'hui sans les “événements d'Octobre 1988” ? La question mérite d'être posée, sachant que les journalistes, qui se battaient en 1988 et bien avant, n'avaient à aucun moment songé à voir le pluralisme médiatique et la liberté d'expression devenir une réalité palpable. Mais comment en est-on arrivé là ? Flash-back. Tout a commencé un certain 9 mai 1988. Dans une déclaration datée de ce jour-là, “au terme d'un débat large et franc organisé au siège de l'Union des journalistes, écrivains et interprètes (UJEI), (structure satellite du parti unique), plus tard baptisé Sid-Ali-Benmechiche (du nom du journaliste de l'APS tué par balle durant les émeutes d'Octobre 1988), le collectif interorgane des journalistes, qui s'appellera par la suite Mouvement des journalistes algériens (MJA) relève (...) un recul évident du professionnalisme (...). Cette dévalorisation de notre métier constitue une grave atteinte à la crédibilité de l'information (...), une pratique généralisée de la censure et de l'autocensure (...), les journalistes souhaitent vivement que leurs unions professionnelles et sections syndicales soient à la hauteur des exigences”. Cette mobilisation allait aboutir, quelques mois plus tard, à des “revalorisations générales des postes de travail, (attribution) de primes d'indemnités avec effet rétroactif (...), augmentation de près de 40% du salaire moyen des rédacteurs et de près de 20% celui des assimilés. C'est la première fois que les journalistes se dotent d'un plan de carrière et d'une grille de salaires unifiée qui mettait fin aux injustices constatées jusque-là d'un organe de presse à un autre”. Forts de leur succès et devant l'adhésion de la majorité des journalistes de l'époque, les animateurs du mouvement poursuivent leur action revendicative et signent une seconde déclaration, le 28 septembre 1988, où ils annoncent la couleur : “Il s'agit de mettre fin à l'arbitraire, (...) à la censure, à la complaisance (...), aux interdits.” Les Bureaux de sécurité et de prévoyance (BSP), installés dans toutes les rédactions de l'époque, sont vite dépassés. Même l'UJEI, du parti unique, après moult tentatives de décrédibiliser le mouvement et de le taxer d'être à la solde du Parti d'avant-garde socialiste (PAGS), finit par abdiquer. L'explosion populaire du 5 Octobre allait donner aux journalistes une opportunité inespérée pour briser la loi de l'omerta et s'affirmer comme une force sociale et politique incontournable. Même si, dans les rédactions, les journalistes ont été empêchés de relater “les événements d'Octobre”, 70 d'entre eux se sont réunis le 10 octobre 1988 pour publier un communiqué qui entrera dans l'histoire. Ce dernier “condamne l'utilisation violente et meurtrière de la force armée”. Le mouvement se prononce pour “une information régie par un secteur public puissant et démocratique qui conserve et développe la totalité des médias et titres existant à la date d'adoption de la nouvelle Constitution au côté d'une presse d'opinion pluraliste”. Ce fut la première déclaration politique, alors que les chars investissaient les rues d'Alger. Le quotidien El Moudjahid sera secoué, en mars 1989, par une grève d'écriture qui durera vingt-sept jours. Cette “première grève d'envergure de la presse algérienne” n'affectera pas sa parution. Les autres rédactions, à l'instar de celle de Révolution africaine, organiseront des journées de protestation. Un vent de liberté venait de souffler sur les salles de rédaction, même si personne n'entrevoyait la suite des événements. Le 23 février 1989, 73,43% d'Algériens approuvent par référendum la troisième Constitution algérienne qui garantit au citoyen “les libertés d'expression, d'association et de réunion” (article 39) et reconnaît le droit de “créer des associations à caractère politique” (article 40). Par la suite, le 13 février 1990, le Conseil des ministres décide d'ouvrir le secteur de la presse écrite. “Afin de permettre l'émergence d'une presse d'opinion de qualité, le Conseil des ministres a décidé d'autoriser les journalistes en fonction actuellement dans les entreprises de presse appartenant au secteur public d'exercer dans les organes qui leur paraissent les plus conformes à leurs opinions et à leur vocation. Leurs rémunérations et l'évolution de leur carrière demeureront garanties par le budget de l'Etat”, lit-on dans le communiqué du Conseil des ministres. Le MJA était, alors, déjà mort et enterré par ses propres animateurs. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, c'est le jour où devait être officialisée la légalisation du mouvement, à l'occasion de la conférence nationale tenue les 13 et 14 octobre 1989 à la salle Atlas, que le MJA avait signé son arrêt de mort. Ce jour-là, Mouloud Hamrouche et son staff gouvernemental étaient les invités d'honneur. Ce jour-là, également, un invité surprise, un certain Abassi Madani, s'était joint aux funérailles. C'est que, entre la révision de la Constitution et l'amendement de la loi sur l'information, des tractations, chapeautées par un Mouloud Hamrouche, encore en poste à la présidence de la République, ont permis d'entrevoir l'avenir de la presse publique. Du coup, les principaux animateurs du MJA se sont retrouvés patrons de journaux privés ou publics et la parenthèse d'Octobre fut vite fermée, pour laisser place à “l'aventure intellectuelle”. A. B.