SIDI BEL-ABBES - Les participants à la journée d'étude sur la chanson Raï ont souligné lundi à Sidi Bel-Abbes le caractère particulier de cette musique qualifiée de "phénomène" et son côté "subversif" échappant aux normes établies. Benachour Bouziane, auteur et journaliste, a estimé dans sa communication "Le Raï est un art qui ne cesse d'être populaire" que "la chanson Raï tire sa légitimité de la culture orale, très enracinée dans le patrimoine bédouin de l'arrière-pays". Ce genre a pu "se repositionner par rapport à l'attente d'une jeunesse friande de tout ce qui est nouveau, friande de dépaysement mais également de provocation à l'endroit de toute expression jugée figée". M. Benachour considère que le Raï est "une chanson de masse, qui s'adresse au corps plutôt qu'à l'esprit", estimant que le chanteur de ce genre musical est "un provocateur naturel à l'ordre établi et à tout ce qui s'apparente à la société puritaine. Il est d'abord un interprète des exclus, un artiste singulier qui est sorti de la clandestinité pour revendiquer pleinement sa marque de fabrique, sa fureur de vivre, sa périlleuse intégration". Pour l'intervenant "si ce genre est devenu populaire et national, nulle contrée du pays n'échappe à sa vague déferlante, c'est qu'il cultive le goût du risque, parle des choses de la vie dans ce qu'elles ont de plus banal : la tendresse, les trahisons, le regret et la sublimation, le désabusement et les épanchements du corps". De son côté, Mohamed Kali, également chercheur et journaliste, a évoqué les origines du Raï, invitant l'auditoire à une véritable balade entre Oran, Sidi Bel-Abbès et Ain Témouchent, places qui se disputent la paternité du Raï. Aux termes "opinion" et "avis" traditionnellement utilisés pour expliquer le sens du mot "Raï", Kali préfère ceux de "raison" et "déraison". Il a fait constater que "le beau dire des poètes dispensait avec philosophie l'élégance, la philosophie de la vie et tout ce qui émeut l'âme. Le genre Raï est celui dont les auteurs-interprètes en appellent en refrain à leur raison et déraison". "La déraison au cœur du Raï n'est-ce pas précisément ce qui fait qu'il a été subversif ?" s'est interrogé M. Kali. Citant plusieurs sources sur les origines du Raï, l'intervenant a estimé que "ce genre est né aux confluences d'Oran, Tlemcen et Sidi Bel-Abbès dont Ain Témouchent était au carrefour". Se référant au chercheur Lechlech Boumedienne, Kali a expliqué que le Raï était d'abord d'essence féminine. "Il est précisément le chant de femmes ouvrières agricoles qui, dès les années 20, constituaient la main-d'œuvre préférée des colons parce que plus taillable et corvéable à merci que les hommes", a-t-il dit. "Le Raï naquit dans des conditions socio-historiques de l'oppression et l'exploitation coloniales, celles de l'exil, du déracinement, de la misère affective et sexuelle, du métissage et des bivouacs lors des veillées autour des braséros qui illuminaient les campagnes", a précisé Mohamed Kali, avant de dresser des portraits et retracer des itinéraires de figures marquantes de ce genre comme Rimiti, Cheikha Wechma, Bellemou, Boutaïba Sghir et bien d'autres encore. Hassen Hamiti, géologue de formation et chercheur dans le domaine du Raï, a tenté de reconstituer les différentes influences culturelles et musicales étrangères qui ont marqué le genre Raï, du fait des modes ou des contacts de la population algérienne, déracinée, exilée, incorporée dans l'armée française pour participer aux deux guerres mondiales. Pour lui, le cinéma américain, avec ses stars incontournables comme les Clark Gabble, Errol Flynn, James Dean, Marlon Brandon et bien d'autres, la musique comme le Jazz, le Rock n'Roll, ont fortement influencé les Algériens dans leurs goûts artistiques et musicaux, dans leurs attitudes et conduites sociales et même dans leurs tenues vestimentaires. "Tous ces éléments on les retrouvera chez tous les chanteurs Raï qui restent fortement imprégnés des modes étrangères", a-t-il affirmé. Le débat qui a suivi ces interventions a tourné principalement autour de la médiatisation du Raï, son message socioculturel, son côté rebelle, le phénomène social qu'il représente et son poids financier. Sur ce dernier point, Bouziane Benachour avait rappelé qu'Oran disposait à elle seule de 22 studios d'enregistrement spécialisés dans le genre Raï. Citant le Directeur régional de l'ONDA, il a précisé que "90% des recettes fiscales enregistrées par l'ONDA provenaient des chanson Raï". Sur un éventuel message politique de la chanson Raï, un intervenant a souligné que ce genre "n'est pas engagé mais subversif". Il est à noter que cette journée d'étude s'inscrit dans le cadre de la 4e édition du Festival national de la chanson Raï qu'abrite depuis samedi la ville de Sidi Bel-Abbès. Lundi soir, un hommage sera rendu au défunt chanteur du groupe mythique "Raïna Raï", Djilali Amarnas, décédé l'année dernière suite à une longue maladie et dans le dénuement le plus total.