Loin de se confiner dans un simple mode musical, il faut désormais se convaincre que le raï englobe, en fait, tout un mode de vie et le demeure encore à nos jours pour nombre d'Algériens, dans leur manière d'être, de penser et de vivre autour de et pour certaines valeurs. D'ailleurs, il suffit d'analyser le corpus des textes de la chanson raï pour se persuader que le genre est véritablement l'expression d'un vécu. C'est dans ce contexte que quatre conférences ont été données cette semaine à la cinémathèque de Sidi Bel Abbès. Animées par Bouziane Benachour, Kali, l'artiste Honitet et le musicologue Hamiti Hassen, ces conférences se sont étalées sur cet art qui a bien su se positionner. Selon Kali, journaliste, le raï naquit dans des conditions socio-historiques de l'oppression et l'exploitation coloniale, celles de l'exil, du déracinement, de la misère affective et sexuelle, du métissage et des bivouacs lors des veillées autour de braseros qui, çà et là, illuminaient la campagne. L'orateur a rappelé, après avoir donné tout le parcours du rai, que durant la première décennie de l'Indépendance, le baladi, qu'on n'appelait pas encore le raï, faisait florès à Sidi Bel Abbès, bien plus qu'ailleurs, au point que depuis, il se prétend que c'est cette ville qui en est le berceau. «Le raï a trouvé refuge plus qu'ailleurs, lui sur lequel l'opprobre officielle s'était abattue», a expliqué Kali dans sa conférence intitulée «Aux origines du raï : Oran, Sidi Bel Abbès ou Oujda». De son côté, Bouziane Benachour a tenu à préciser dans son intervention que «la chanson raï, un art qui ne cesse de se populariser». Et que situer culturellement l'Algérie sans parler de la chanson raï, c'est faire une œuvre de ségrégation pour ne pas dire de myopie intellectuelle. «S'étant imposée aux autres modes musicaux par son style alerte et la fascination quasi charnelle qu'elle exerce sur la jeunesse, la chanson raï, qui a marqué un tournant décisif dans l'histoire de la chanson algérienne, est aujourd'hui le meilleur témoin d'un peuple qui bouge, d'une jeunesse qui s'affirme...» Benachour a tenu à montrer que nulle autre expression artistique populaire n'allait acquérir aussi rapidement un accueil aussi enthousiaste. Réconfortante, fera-t-il observer, parce qu'elle sait parler au sentiment, la chanson raï ne sait vivre qu'au présent immédiat et renonce presque toujours à toute forme de renonciation même si par moments ses contenus parlent de renonciation. Abordant les différentes facettes de cette chanson, le conférencier n'a pas manqué de confirmer que plus d'une fois, cette chanson a contribué à faire connaître l'Algérie d'aujourd'hui. Une autre conférence ayant pour thème «Le raï, un phénomène social et musical» a été donnée par Hanitet qui a brossé un tableau allant de l'historique en passant par Cheikha Remiti et Sidi Bel Abbès, cette école du raï. Lors de ce débat autour de cette chanson, le musicologue Hamiti a parlé de la musique et des sons qui sont bien assortis aux paroles sans passer par les écoles. «C'est tout simplement un don», dira-t-il, tout en rappelant la musique du bedoui en 1920, celle du wahrani en 1930, le raï traditionnel et moderne depuis les années 40 à ce jour qui en portent en fait les stigmates. Cette journée d'étude, inscrite pour la première fois à Sidi Bel Abbès, a été donc une occasion de montrer que le raï est un genre musical issu des terroirs de l'ouest algérien. Il plonge ses racines dans la poésie traditionnelle. Et c'est grâce à une relève que cet art a été marqué par une production évolutive, moderne et largement diffusée grâce aux moyens technologiques, où des chansons font le tour du monde. L'objectif visé consiste à inculquer aux chanteurs l'art d'adapter des textes à la hauteur et une musique bien composée afin d'offrir un produit qui étonne davantage le monde du raï, avec des tubes impressionnants. En effet, par son contact avec une nouvelle communauté, avec de nouvelles mœurs, de nouvelles habitudes, un nouvel état d'esprit, mais tout en gardant ses mêmes principes techniques, le raï a su s'adapter. Cela l'a rendu encore plus appréciable et plus riche.