PARIS - Des experts en politique pétrolière ont été unanimes à considérer que l'Algérie a fait le "bon choix" en procédant le 24 février 1971 à la nationalisation de ses hydrocarbures, qu'ils considèrent comme un vaste mouvement de la part de pays en développement pour reprendre, individuellement et collectivement, le contrôle de leurs ressources naturelles. Dans un entretien à l'APS, Nicolas Sarkis, directeur du Centre arabe d'études pétrolières a estimé que la nationalisation de l'industrie algérienne des hydrocarbures a marqué un "tournant capital" dans l'histoire de cette industrie aussi bien en Algérie qu'au niveau mondial. "Cette nationalisation a en effet brisé le traumatisme créé dans les pays producteurs par le demi-échec de la nationalisation du pétrole iranien par l'ancien Premier ministre iranien, Mohamed Mossadegh dans les années 50, et elle a ouvert la voie aux mesures de nationalisation ou de prise de contrôle prises à partir de 1972 en Irak, en Libye puis dans les pays du Golfe", a-t-il dit. Pour M. Sarkis, le succès des nationalisations algériennes "a été d'autant plus remarquable que l'Algérie était relativement un nouveau venu sur la scène pétrolière mondiale" et que sa Société nationale des hydrocarbures (Sonatrach), "n'avait encore que six ans et avait encore des cadres peu nombreux mais très motivés et dévoués". Du point de vue du directeur du Centre arabe d'études pétrolières, ce succès est également attribuable "au courage dont les dirigeants algériens de l'époque ont fait preuve et au pragmatisme avec lequel ils ont fait la distinction entre, d'une part, les sociétés et les pays qui cherchaient à torpiller les nationalisations et, d'autre part, ceux qui ont accepté de continuer à coopérer avec la Sonatrach". Au niveau national, a-t-il ajouté, les nationalisations de 1971 ont permis à la compagnie nationale des hydrocarbures de jouer "un rôle de premier plan" dans le développement de l'économie algérienne et d'acquérir, au niveau mondial, "la stature d'une société pétrolière et gazière qui a âprement disputé la place qui est aujourd'hui la sienne parmi les grandes sociétés internationales". M. Sarkis considère par ailleurs que dans la foulée des nationalisations, l'Algérie a également joué "un rôle de pionnier" dans le grand mouvement de relèvement des prix et des revenus pétroliers des pays producteurs et ce, "aussi bien dans le cadre de sa politique pétrolière nationale qu'au sein de l'OPEP". "Le grand défi" de l'Algérie pour l'avenir consiste, a-t-il souligné, dans le développement de sources renouvelables d'énergie et d'autres secteurs de production susceptibles de remplacer progressivement le pétrole et le gaz comme principal source de revenus. "Pour les années à venir, la nécessité absolue pour l'Algérie d'utiliser les hydrocarbures et leurs revenus pour diversifier l'économie nationale et pouvoir exporter d'autres produits est tout aussi impérieuse que la nécessité qu'il y avait en 1971 de prendre le contrôle de ses richesses pétrolières et gazières", a estimé M. Sarkis. Francis Perrin, expert en politique énergétique, a pour sa part relevé qu'historiquement, cette décision de nationalisation des hydrocarbures s'est inscrite "dans un vaste mouvement de la part de pays en développement pour reprendre, individuellement et collectivement -notamment à travers l'OPEP-, le contrôle de leurs ressources naturelles". "Ce mouvement était déjà fortement perceptible dans les années 1960 et il a connu une accélération majeure au début des années 1970 avec de telles décisions et, bien sûr, avec le +choc pétrolier+ de 1973-1974 et l'ensemble des mesures qui l'ont accompagné", a-t-il ajouté, soulignant que la nationalisation de 1971 "est à la fois la conséquence et la cause de ces évolutions qui ont contribué à bouleverser la scène pétrolière mondiale". Pour M. Perrin, responsable de la revue Pétrole et gaz arabes (PGA), "tout anniversaire tel que celui du 24 février 1971 est une occasion pour faire mieux connaître des événements qui ont marqué l'histoire politique et économique du pays". De son point de vue c'est surtout, "une occasion pour tirer des enseignements du passé avec un regard critique, regarder le présent et l'avenir et se demander ce qu'il faut faire pour être fidèle à l'esprit de ces grands moments tout en répondant aux défis actuels et futurs de l'Algérie". "La diversification de l'économie et l'amélioration de la gestion de la rente pétrolière et gazière constituent de tels défis", a-t-il dit à l'APS, plaidant pour davantage de diversification de l'économie algérienne pour sortir de sa dépendance vis-à-vis des hydrocarbures. Le soutien du secteur privé, en particulier les PME, et le développement des ressources humaines, sont des aspects clés dans le développement du pays d'autant plus que ces ressources sont renouvelables à la différence du pétrole et du gaz, selon M. Perrin qui a appelé à une"sérieuse modification" du mode de gestion. Paul Balta, correspondant du journal Le Monde pour le Maghreb, basé à Alger, durant les années 1970, a de son côté estimé que l'Algérie "avait le droit de nationaliser les hydrocarbures de son territoire", rappelant cependant qu'"une grande partie de l'opinion française avait mal accueilli cette décision" mais qu'il y avait aussi "les Français progressistes qui avaient soutenu la lutte pour l'indépendance de l'Algérie et approuvaient donc cette mesure". Sur les incidences de la nationalisation des hydrocarbures sur les relations algéro-françaises, M. Balta a rappelé également que cette décision entraîna l'ajournement d'un projet de visite que le président Houari Boumediene devait effectuer en France et que c'est le président Valéry Giscard d'Estaing qui finalement fera la visite d'Etat en Algérie, en 1975.