"Le chant des sirènes", une pièce tragi-comique, de la compagnie helvétique "Apsara" a fait sensation lundi soir au Théâtre régional de Bejaia (TRB) en réussissant la prouesse de transformer un drame humain et cruel, celui des migrations féminines du Sud vers le Nord, en spectacle ludique, mêlant humour, musique et chanson. La traversée, ou plutôt "El-harga" latine, depuis les îles Caraïbes jusqu'à Genève, a pris miraculeusement, le temps du spectacle, l'allure d'une "croisière qui s'amuse". Pourtant, le sujet est lourd. Il aborde la tragédie de toutes ces jeunes filles d'Amérique Latine qui, désireuses de s'émanciper de leurs conditions, quittent leur cocon d'origine pour tenter l'aventure dans l'illusion des Eldorado européens, mais qui déchantent vite. Car, souvent une fois parvenues, elles finissent sur le carreau, obligées de vendre leur charme. Une chronique bavarde, poignante, écrite par Olivier Chiacchiari, et merveilleusement mise en scène par le cubain Carlos Diaz, et magnifiée de surcroît par l'interprétation d'un duo flamboyant, formé par Silvia Barreiro et Margarita Sanchez. Mais pour autant qu'elle met le doigt, sur une douleur humaine, elle évite d'en encombrer l'esprit du spectateur, en focalisant sur la truculence des deux héroïnes, leur sens de l'humour et leur passion pour la musique et la chanson. Une vraie invitation à la fête, un plaidoyer au droit à la vie. La pièce raconte l'histoire de deux soeurs, quinquagénaire, qui quittent leur pays, Les Caraïbes pour aller s'installer à Genève (Suisse) où un contrat de travail comme danseuses professionnelles les attendait, dans un établissement, de surcroît bien nommé, "Le club de monseigneur". Mais, avant d'y atterrir, elles échouent dans un hôtel miteux de la ville de Nantes (France) dont l'escale donnait déjà un avant-goût amer à la suite de leur voyage. Recluses dans leur chambre, copartagée avec les cafards, et faute de trouver le sommeil, elles donnent alors libre cours à leur espoir, leur déception et leur amertume, et surtout leur peur, car sur le tard, elles découvrent la nature de leur contrat de travail qui ne les prédestine à rien d'autre finalement qu'à la prostitution. L'alcool aidant, elles euphorisent, en dérapant leur voyage dans une dérision sulfureuse. "On est là, on y reste. On ne va pas se laisser abattre. C'est de la positive attitude", tonne l'une d'elle, désespérée à l'idée de repartir au pays. L'occasion en tous cas est un grand moment de distraction pour le public, qui a vu défiler, deux bêtes de scène totalement en possession de leur art, et qui ont amusé jusqu'aux larmes, l'immense assistance qui s'est massée à l'intérieur et à l'extérieur du théâtre, faute de place.