Le recul dans les sociétés du Maghreb des valeurs de tolérance et de pacifisme véhiculées par le soufisme au profit d'un Islam rigoriste est à l'origine de la crise culturelle et cultuelle que traversent ces pays, soutiennent des participants au 10e colloque international "Les routes de la foi" qui se poursuit jusqu'à jeudi à Alger. Des universitaires maghrébins ont estimé en marge de leurs interventions que la diffusion au Maghreb d'un islam rigoriste s'explique par "le déni identitaire" du colonialisme, puis par l' "hégémonie (culturelle) du Moyen-Orient", (Arabie Saoudite notamment), qui se traduit aujourd'hui par la disparition progressive d'une culture populaire séculaire porteuse des valeurs humanistes. Pour le Tunisien Ben Ameur Toufik, le vide culturel induit par la colonisation qui avait pour mission, rappelle-t-il, "d'isoler les peuples arabes de leur identité" a favorisé l'émergence, au lendemain des indépendances, d'une autre "forme de colonisation" représentée, selon lui, par les courants salafistes. Ces "marchands de religion", ainsi qu'il les qualifient, s'acharnent aujourd'hui à "réduire à néant" tout un patrimoine culturel, en propageant des idées et des valeurs "réactionnaires", analyse-t-il. L'activisme, agressif et souvent violent, de ces nouveaux prédicateurs est soutenu par des "puissances étrangères impérialistes complices", affirme cet enseignant à la faculté des sciences humaines et sociales de Tunis dans une allusion à la situation dans son pays marquée, ces dernières années, par des attaques répétées des salafistes contre les symboles du patrimoine séculaire soufi dans ce pays. "Nous devons absolument travailler à diffuser les vraies valeurs d'humanisme et de tolérance de l'Islam. Les confréries soufies doivent se réformer en s'adaptant d'avantage au contexte de l'époque", estime-t-il en évoquant l'exemple des soufis égyptiens. Depuis la chute du régime de l'ancien président égyptien Hosni Moubarek, les confréries d'Egypte, nombreuses et bien implantées, ont fait le choix de s'impliquer dans la vie publique, en participant aux les manifestations populaires contre les Frères musulmans dans ce pays. Plus optimiste, l'universitaire algérien Mohamed Taibi voit dans la culture spirituelle soufie qui "structure profondément l'imaginaire collectif algérien", un "facteur d'équilibre" dans la société, encore capable aujourd'hui de réduire "l'impact négatif des mentalités grégaires et agressives" de l'extrémisme religieux. Mohamed Taibi estime également que l'idéologie extrémiste, portée par "l'internationaliste salafiste" ne se diffuse que dans "des sociétés en crise", notamment culturelle, à travers une "dynamique d'implosion" et de division qui pourrait, dit-il, "faire rater au monde musulman le défi du dialogue des civilisations". De son côté, la chercheuse marocaine, Aïcha El Bouazaoui, explique le recul des valeurs soufies à partir des années 1980 au profit d'une vision rétrograde de l'islam par le discours "hermétique" du courant mystique musulman, provoquant un recul de son influence au Maghreb, avant de céder la place au "discours rigoriste de la jurisprudence islamique" plus accessible aux les croyants, selon elle. Organisé du 17 au 19 décembre à la résidence d'Etat Djenane El Mithaq, le colloque international "Les routes de la foi" réunit des chercheurs et des religieux de vingt-six pays autour de la philosophie et l'enseignement spirituel du fondateur de la confrérie soufie Tidjaniya, Sidi Ahmed Tidjani. Fondée en Algérie en 1782, la Tidjania qui a essaimé en Afrique de l'Ouest et en Asie, notamment, compte aujourd'hui des millions d'adeptes à travers le monde.