La destruction volontaire de sites antiques et de biens culturels notamment en Irak et en Syrie constitue une menace pour l'histoire des civilisations, au moment où le trafic d'objets d'antiquités du Moyen-Orient vers l'Europe représente la deuxième source de revenus pour les groupes terroristes après la rente pétrolière. Ainsi, la chute jeudi de la ville antique de Palmyre dans le désert syrien aux mains des terroriste du groupe autoproclamé "Etat islamique" (EI/Daech) suscite des craintes de voir les trésors archéologiques de la cité détruits par les terroristes, après les destructions par le passé de trésors archéologiques en Irak voisin, au Mali, en Libye ou en Afghanistan. Située à 210 km au nord-est de Damas, Palmyre ou la "perle du désert", inscrite par l'Unesco au patrimoine mondial de l'humanité, est une oasis qui fut un point de passage des caravanes entre le Golfe et la Méditerranée et un carrefour des civilisations antiques. La destruction de cette cité antique, prise par Daech, serait "une énorme perte pour l'humanité", a déclaré la directrice de l'Unesco Irina Bokova dans une vidéo mise en ligne par l'organisation internationale. "Palmyre est le site d'un extraordinaire héritage mondial dans le désert, et toute destruction à Palmyre serait non seulement un crime de guerre, mais aussi une énorme perte pour l'humanité", a-t-elle souligné, réitérant son appel au Conseil de sécurité de l'ONU à se saisir du sujet. "Nous avons besoin que le Conseil de sécurité, que tous les leaders politiques, que les chefs religieux lancent un appel pour prévenir ces destructions", a-t-elle ajouté, soulignant qu'"en fin de compte, c'est le berceau de la civilisation humaine" qui "appartient à l'humanité toute entière". Vente d'oeuvres d'art, deuxième source de financement des terroristes Plus de 2000 sites archéologiques répertoriés en Irak sont sous le contrôle de l'EI. Les oeuvres d'art qui ne sont pas détruites au cours de saccages exhibés dans des vidéos de propagande sont vendues. Le bénéfice de la vente est la deuxième source de financement de l'EI. Elle se chiffre en milliards de dollars. Lorsque le gros des ventes est écoulé dans trois pays d'Europe, l'Allemagne, la France et la Grande Bretagne, le trafic prend des dimensions internationales. En Allemagne, plaque tournante où transitent les oeuvres, les trafiquants agissent en toute impunité. Depuis la prise de Mossoul en juin dernier, le pillage du patrimoine en Irak et en Syrie s'accélère. Sur les plus de 12.000 sites archéologiques répertoriés en Irak, 2.000 sont déjà tombés aux mains des terroristes. Parmi les dernières destructions en date figurent la bibliothèque et le musée de Mossoul, la cité de Nimroud et l'antique cité parthe de Hatra. Ancien berceau de la Mésopotamie, cette région du Moyen-Orient contient d'innombrables trésors de l'Antiquité. Les oeuvres trop difficiles à transporter sont détruites, les autres alimentent un vaste trafic mondial. Le commerce illicite d'oeuvres d'art est en effet le troisième grand trafic mondial et la 2ème source de revenus de l'EI après la vente de pétrole. Les sommes en jeu sont considérables. Selon les chiffres de la CIA, elles pourraient rapporter aux terroristes 6 à 8 milliards de dollars. Pour écouler les biens culturels, des processus très lents sont mis en place. Les oeuvres sont d'abord stockées dans des entrepôts locaux avant d'être revendues à "des acteurs intermédiaires en Turquie ou au Liban". Certaines d'entre elles n'apparaitront donc sur les marchés européens que des années plus tard, ce qui rend leur identification difficile. D'autres transitent même par des ports francs, ces zones portuaires non soumises au service des douanes, comme à Zurich ou à Dubaï. Elles obtiennent ensuite un certificat d'authenticité falsifié, ce qui permet de les diffuser sur le marché. Les trafiquants profitent des failles de la législation et passent à travers les mailles en comptant sur la prolifération sur internet des sites de vente en ligne ou bien sur l'apparition de nouveaux musées peu scrupuleux, notamment dans les pays du Golfe. Ils empruntent un itinéraire bien huilé, dont le sillage a déjà été tracé il y a des années. ''Les trafiquants d'aujourd'hui sont très professionnels mais ils n'ont rien inventé, estime Arthur Brand, un chasseur d'oeuvres d'art volées. Ils reprennent les mêmes routes que les Talibans, qui finançaient leur armée en vendant de l'héroïne aux pays étrangers pendant la guerre en Afghanistan''. Le trafic d'art n'est pas nouveau. Il empruntait déjà les mêmes routes il y a 40 ans. Les statues, tableaux et autres oeuvres d'art peuvent ensuite être acheminés vers les consommateurs. Parmi les principaux pays acheteurs, l'Allemagne, le Royaume-Uni et la France arrivent en tête. Dans la région de Munich, de nombreux cartels turcs se sont emparés du marché. Ils acheminent les pièces directement de Turquie et les revendent aux collectionneurs. Les deux pays voisins, la France et le Royaume-Uni, arrivent juste après dans le classement. L'Allemagne est l'une des plaques tournantes du vaste trafic qui met en péril le patrimoine culturel de l'ancienne Mésopotamie, notamment à cause d'une législation très coulante. Appels à lutter contre la destruction du patrimoine Selon Maamoun Abdulkarim, directeur général des antiquités et des musées de Syrie, la population en Irak se mobilise pour lutter contre la destruction du patrimoine considéré comme faisant partie de l'identité nationale. Même si la plupart des musées irakiens et syriens ont transféré leurs trésors dans des entrepôts sécurisés, de nombreuses oeuvres tombent encore aux mains des terroristes. Au bout de la chaîne, ce sont les acheteurs qui sont les véritables coupables. Ainsi, à la suite de l'Unesco, qui a adopté à l'automne dernier une résolution sur la protection du patrimoine en Irak, le conseil de sécurité de l'ONU a adopté le 12 février 2015 la résolution 2199 qui condamne la destruction du patrimoine culturel et adopte des mesures juridiquement contraignantes pour lutter contre le trafic illicite des antiquités et des biens clturels en provenance d'Irak et de Syrie, et pour ''asphyxier financièrement les groupes djihadistes" en empêchant le trafic d'oeuvres d'art et la vente de pétrole. Le conseil étend à la Syrie l'interdiction de faire commerce de biens culturels volés, qui s'appliquait déjà à l'Irak. En 2003, le Conseil de sécurité des Nations unies avait en effet déjà adopté une résolution interdisant toute sortie de bien culturel d'Irak, après le pillage du musée de Baghdad. De son côté, Interpol dresse sur son site internet une liste des oeuvres volées répertoriées, alors que des circulaires son diffusées à l'ensemble des musées pour alerter en cas d'oeuvres recherchées. Repères de sites archéologiques détruits par les groupes terroristes (ENCADRE) La chute jeudi de la ville antique de Todmor (Palmyre) dans le désert de Syrie aux mains des terroristes du groupe autoproclamé "Etat islamique" (EI/Daech) relance le débat sur la necessité d'une action internationale pour la sauvegarde et la protection des sites antiques et des biens culturels mondiaux à l'instar de vestiges archéologique détruis en Irak, en Syrie, en Libye, au Mali et en Afghanistan. Une rétrospéctive historique permet de se rappeler qu'en Irak, le groupe EI avait détruit plusieurs statues et objets de valeurs dans des cités antiques. Le groupe, qui contrôle de larges pans de territoire dans le nord irakien et désormais la moitié du territoire de la Syrie avec la prise de Palmyre, s'est livré à "un nettoyage culturel" en rasant une partie des vestiges de la Mésopotamie antique, selon l'Onu, ou en revendant des pièces au marché noir. Une vidéo diffusée fin février a montré des membres de l'EI saccager des trésors pré-islamiques dans le musée de Mossoul, 2e ville d'Irak prise aux premiers jours de leur offensive, début juin 2014. Selon des responsables des antiquités, quelques 90 oeuvres ont été détruites ou endommagées. Les terroristes, qui ont aussi mis le feu à la bibliothèque de la ville, avaient dynamité en juillet 2014 devant la foule la tombe du prophète (Nabi) Younès. Une vidéo diffusée en avril a montré les éléments de ce groupe détruire à coups de bulldozers, de pioches et d'explosifs le site archéologique irakien de Nimroud, joyau de l'empire assyrien fondé au XIIIe siècle. Ils s'en sont aussi pris à Hatra, cité de la période romaine vieille de plus de 2.000 ans,située dans la province de Ninive (nord). Trésors archéologiques détruits en Libye et au Mali En Libye, plusieurs mausolées ont été détruits par des extrémistes à coups de pelleteuse ou d'explosifs à travers le pays depuis 2011. En 2012, des dizaines d'extrémistes ont fait exploser le mausolée du cheikh Abdessalem Al-Asmar, un théologien soufi du XVIème siècle, à Zliten (ouest), le plus important en Libye. Une bibliothèque et une université au nom du cheikh ont été la cible d'actes de destruction et de pillage. A Misrata, le mausolée du cheikh Ahmed al-Zarrouk a été détruit. En 2013, une attaque à l'explosif a visé un mausolée à Tajoura, banlieue de Tripoli, datant du 16ème siècle et qui constituait l'un des plus anciens de la capitale. En 2014, l'Unesco a condamné les actes de vandalisme qui ont visé plusieurs mosquées de Tripoli, dont la mosquée Karamanli datant du 18ème siècle. Dans la ville de Tombouctou dans le nord du Mali, "la cité des 333 saints" inscrite au patrimoine mondial de l'humanité, est restée d'avril 2012 à janvier 2013 sous le contrôle de groupes armés qui l'ont défigurée. En juin 2012, les éléments de différents groupes liés à Al-Qaïda ont entamé la démolition de plusieurs mausolées, dont celui de la principale mosquée de la ville. D'autres mausolées, témoignage de l'âge d'or de la ville au XVIe siècle ont été détruits. Début 2013, l'Institut de recherches islamiques Ahmed Baba a été saccagé, mais la majeure partie des célèbres manuscrits et livres précieux avaient été mis à l'abri. En mars 2014, des travaux de reconstruction ont commencé. Par ailleurs, en Afghanistan, en mars 2001, les talibans ont détruit deux bouddhas géants de Bamiyan (centre-est), trésors archéologiques vieux de plus de 1.500 ans, à coups de roquettes et de dynamite. Dans l'ex-Yougoslaie, fin 1991, lors du conflit serbo-croate, la ville médiévale de Dubrovnik en Croatie, a été ravagée, ses édifices sciemment étruits. En Bosnie, les artilleurs serbes ont incendié la bibliothèque nationale de Sarajevo, construite au 19e siècle dans un style pseudo-mauresque. Elle a été rouverte en 2014, 22 ans après sa destruction. En novembre 1993, le vieux pont de Mostar, considéré comme un chef d'oeuvre de l'architecture ottomane, a été détruit par les forces croates de Bosnie avant d'être reconstruit. L'Organisation des Nation unies pour l'éducation, les sciences et la culture (UNESCO) a lancé jeudi à Paris une campagne sous le slogan "Unis avec le patrimoine" visant la mobilisation de l'opinion publique en Libye pour la sauvegarde du patrimoine dans ce pays. La campagne a été lancée, à l'occasion de la journée mondiale de la diversité culturelle pour le dialogue et le développement célébrée le 21 mai de chaque année, et ce dans le cadre "des efforts visant la promotion du patrimoine culturel en tant que moyen essentiel pour le dialogue et la paix" et "sa sauvegarde dans les régions où il est menacé par les extrémistes. Par Fatiha KHALEF