Amnesty international a dénoncé jeudi, à Bruxelles, l'énorme écart entre la loi et la pratique au Maroc, jugeant le projet de réforme du code pénal "rétrograde" et "en contradiction avec la Constitution". Intervenant lors d'un débat organisé au Parlement européen par la Délégation pour les relations avec les pays du Maghreb, la directrice par intérim du Bureau d'Amnesty International auprès des institutions européennes, Iverna McGowan, a souligné "le fossé qui existe entre les textes de lois et les pratiques abusives recensées sur le terrain". Selon McGowan, Amnesty International continue de recueillir des informations sur des cas de violation des droits humains censés être condamnés par la loi marocaine, citant des cas de détention arbitraire, torture et autres mauvais traitement en détention et des procès inéquitables. "La liberté d'expression, d'association et de réunion restait soumise à des restrictions", a-t-elle indiqué, affirmant que les autorités marocaines ont réprimé la dissidence, poursuivi des journalistes et emprisonné des militants, restreint les activités d'organisations de défense des droits humains, entre autres associations, et dispersé par la force des manifestations pacifiques et d'autres mouvements de protestation. "Des poursuites pour diffamation et outrage ont été engagées à l'encontre de journalistes et de militants accusés d'avoir insulté des personnalités publiques ou des institutions étatiques, en violation du droit à la liberté d'expression garanti par la Constitution et par les traités internationaux relatifs aux droits humains auxquels le Maroc est partie", a-t-elle ajouté. Elle a cité, à ce titre, le cas du journaliste Ali Anouzla, poursuivi pour apologie du terrorisme et assistance au terrorisme en raison d'un article publié sur le site d'information en ligne Lakome, qui faisait référence à une vidéo du groupe terroriste Al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et celui de Hamid el Mahdaoui, inculpé de diffamation et d'injure publique à la suite d'une plainte du directeur national de la police à propos d'articles qu'il avait publiés sur le site internet d'information Badil, sur la mort à Al Hoceima de Karim Lachqar après son arrestation et sa détention par la police. Pour étayer ses propos par rapport aux régressions dans les libertés apportées par le projet du Code pénal, la représentante d'Amnesty international a cité l'article 206 qui considère comme portant atteinte à la sécurité de l'Etat, et puni d'un an à dix ans de prison, quiconque ayant perçu d'une personne ou d'un groupe étrangers des dons, prêts, ou autres services en vue d'une activité ou une propagande susceptibles d'ébranler l'allégeance des citoyens à l'Etat et aux institutions du peuple marocain. Elle a relevé également que l'article 219 du projet du code pénal prévoit une peine d'un an à cinq ans de prison pour celui qui aura injurié ou moqué les religions, considérant que la moquerie relève plutôt de la liberté d'expression. La représentante d'Amnesty international auprès des institutions européennes a affirmé, en outre, que "les femmes n'étaient pas suffisamment protégées contre toutes les formes de violences y compris les violences sexuelles". Elle cite, à ce propos, l'article 418 qui prévoit des circonstances atténuantes pour les crimes commis par l'un des époux lorsqu'il surprend son conjoint en flagrant crime adultère, considérant cette disposition comme "une régression qui légalise les crimes d'honneur". Le journaliste marocain, Ali Lmarbet, présent à la rencontre, a dénoncé, de son côté, les dispositions du projet du code pénal relatives aux circonstances atténuantes en cas de crime d'honneur, faisant remarquer que "pis, ce nouveau code va jusqu'à les élargir à tous les membres de la famille, alors que seul son chef y a droit dans le code actuel". Une disposition "rétrograde" qui s'ajoute à bien d'autres qui autorisent les services de sécurité à utiliser la violence pour disperser une manifestation lorsqu'ils le jugent nécessaire, a-t-il souligné, regrettant qu'aucune précision ne soit apportée dans le nouveau code qui permettra de sanctionner "l'offense aux religions", "la loyauté due à la patrie", ouvrant ainsi la voie à des interprétations abusives de la part de juges et d'autorités policières.