Le retour du refinancement des banques commerciales par la Banque d'Algérie (BA), prévu dès avril prochain, n'est qu'un "retour à la normale" après des années de surliquidités bancaires, même si l'efficacité de la mesure demeure tributaire d'une plus grande souplesse dans l'octroi des crédits bancaires, estiment jeudi des experts et banquiers interrogés par l'APS. La mesure "n'a rien d'exceptionnel. Le refinancement des banques est le rôle principal d'une banque centrale. Les banques algériennes avaient cependant trop de ressources durant les quinze dernières années et elles n'avaient donc pas besoin d'emprunter de la BA. Maintenant que les entrées en devises sont en baisse, elles peuvent manifester un tel besoin", explique-t-on de sources bancaires. La contraction des liquidités bancaires, qui sont passées à 1.828 mds de Da à fin septembre 2015 (près de 17 mds de dollars) contre 2.730,88 mds de DA à fin septembre 2014, est principalement due à la baisse des exportations algériennes des hydrocarbures, du fait de la baisse des prix du pétrole. "Lorsqu'un opérateur exporte, les devises sont domiciliées au niveau des banques, et à l'inverse, toute opération d'importation fait baisser les avoirs bancaires en devises. Les banques vont avoir besoin de se refinancer lorsque leurs entrées, en devises notamment, seront inférieures aux sorties", précisent ces sources. Le déficit commercial de l'Algérie s'est fortement creusé à 13,7 mds de dollars en 2015 contre un excédent de 4,31 mds de dollars en 2014. Pour les seuls deux premiers mois de 2016, ce déficit a atteint 3,326 md usd contre un déficit 1,273 md usd durant la même période en 2015. Durant les neuf premiers mois de 2015, les dépôts du secteur des hydrocarbures ont baissé de 39% par rapport à la même période en 2014. Mardi, le gouverneur de la BA Mohamed Laksaci a indiqué que son institution allait revenir au refinancement des banques à travers l'injection des liquidités nécessaires au financement de l'investissement et des PME en Algérie. Cela passera par le réescompte, c'est-à-dire des crédits accordés par la BA aux banques commerciales en contrepartie d'un taux qu'on appelle le taux de réescompte. Ce taux est fixé à 4% depuis 2001 mais il n'a jamais été pratiqué. Il revient aujourd'hui à la BA de revoir ce taux à la hausse ou à la baisse en fonction de la politique des crédits, explique-t-on à la Banque centrale. Ainsi, pour le financement de projets d'investissement, la banque va chez la BA, présente le projet en question, dont la rentabilité devra être la garantie, et obtient un crédit à long terme auprès de la banque centrale, en contrepartie d'un taux d'intérêt directeur (de réescompte). Mais les injections des liquidités ne "devraient pas être traduites par une réduction des réserves de change", a averti le Gouverneur, allusion faite aux financements bancaires des importations au détriment de l'investissement. == Une plus grande souplesse dans l'octroi des crédits s'impose== En dépit des contractions des ressources, les crédits à l'économie ont progressé de 13,35% durant les neuf premiers mois de 2015, atteignant près de 7.400 mds de DA. Plus des trois quarts de ces crédits sont accordés à l'investissement. "Eu égard au choc externe violent, ce rythme d'expansion des crédits à l'économie ne semble pas être soutenable sans le recours de certaines banques au refinancement auprès de la BA", estime M. Laksaci. Cependant, des économistes se montrent sceptiques quant à l'efficacité du retour au refinancements bancaires, estimant que le problème qui se pose actuellement n'est pas réellement le manque de liquidité mais plutôt le manque d"audace" chez les banques pour accorder des crédits raisonnablement risqués. "Les banques, notamment publiques étaient en surliquidités pendant de longues années, mais en raison des règles prudentielles très lourdes et du fait de la pénalisation de l'acte de gestion, elle n'arrivaient pas à financer l'investissement comme il se doit", relève l'analyste financier Ferhat Aït Ali. Les banques algériennes exigent en fait "trop de garanties matérielles pour l'octroi des crédits à l'investissement. Elles s'accrochent trop à ces garanties, alors qu'il existe tant de projets rentables mais dont les détenteurs ne possèdent pas les garanties hypothécaires exigées", a-t-il soutenu. "En maintenant cette rigidité pour l'octroi de crédits, je ne vois pas ce que le refinancement des banques peut-il changer", a-t-il estimé. L'économiste Kamel Rezig partage parfaitement cet avis. "Les crédits d'investissement ont toujours été en deçà des attentes. Le problème n'est pas d'ordre financier", a-t-il affirmé. Selon lui, les investisseurs font "un parcours de combattant pour pouvoir décrocher des crédits. Les modalités de travail de nos banques sont trop archaïques, elles exigent toujours des sûretés réelles (garanties hypothécaires) même pour le financement de projets intéressants. Elles ne prennent pas de risques". Mais avec la dépénalisation de l'acte de gestion, conformément à l'article 6 bis du code pénal, les banques devraient "oser" prendre plus de risques dans le futur. "C'est cette prise de risque qui va alors booster les crédits à l'investissement", a-t-il prédit.