La presse française, en mal d'équilibre financier, perd de plus en plus son indépendance depuis notamment que des industriels et hommes d'affaires se sont mis à acquérir des titres de la presse écrite et des chaînes de TV les plus influents. Face à un volume de lecteurs, qui a fondu comme de la neige au soleil et à la montée fulgurante du numérique, la presse écrite française, se trouvant dans une situation financière peu reluisante, a été tout de suite convoitée et prise d'assaut par des industriels et hommes d'affaires évoluant dans les télécommunications, l'armement et la mode. Le dernier rapport de Reporters sans frontières, du 20 avril dernier, a constaté que la France, 45e au classement, était en recul de 7 rangs. Le rapport explique ce déclin, notamment en matière d'indépendance, par la montée en puissance des hommes de la finance et de l'industrie qui s'acquièrent des titres de journaux pour les intégrer dans des groupes d'intérêts. "Une poignée d'hommes d'affaires ayant des intérêts extérieurs au champ des médias finissent par posséder la grande majorité des médias privés à vocation nationale", a déploré RSF. L'intrusion de Vincent Bolloré, un industriel et homme d'affaires français, dans l'éditorial du groupe Canal + et l'acquisition du groupe Express et Libération par Patrick Drahi, un homme d'affaires et entrepreneur franco-israélien résidant en Suisse, sont cités comme exemples des "conflits d'intérêt" et de la menace pour la liberté d'information représentés par cette tendance. Les médias sous influence Placés sous surveillance et sous influence, les médias français ne sont pas censurés mais doivent, par contre, veiller à "ne pas froisser" les amis des nouveaux patrons et leurs annonceurs, dit-on dans les milieux médiatiques. Cependant, dans cette nouvelle guerre d'influence, seuls, pour la presse nationale, l'Humanité, quotidien du Parti communiste français, le Canard Enchaîné, le Monde Diplomatique et le journal électronique Médiapart luttent pour leur survie, avec le soutien de leur lectorat respectif, et leur ligne éditoriale. Vincent Bolloré, considéré comme la huitième fortune de France, est à la tête d'une entreprise familiale aux activités très variées. Il a pris le contrôle de Vivendi, une multinationale française spécialisée dans la communication et le divertissement et cotée en Bourse, après le rachat par Canal+ de ses chaînes Direct 8/D8 et D17, qu'il avait lancées en 2005. L'autre industriel qui monte en puissance dans le milieu médiatique est Patrick Drahi, propriétaire du groupe Altice, un groupe multinational regroupant des câblo-opérateurs, des opérateurs de télécommunications et des entreprises de communications. Cet industriel regroupe dans l'opérateur télécoms SFR ses activités médias, détenues à titre personnel et via son groupe Altice, dont BFMTV, i24 News, Libération et l'Express. C'est SFR qui achète les titres de journaux, les chaînes TV et radios qui se trouvent généralement dans des situations financières difficiles. La treizième fortune française selon Forbes, Bernard Arnault est, quant à lui, à la tête du groupe LVMH (mode, bijouterie et parfumerie). Il détient Radio Classique et le quotidien économique Les Echos. Il a renforcé son groupe, en 2015, avec le rachat du Parisien et de sa déclinaison Aujourd'hui en France, ce qui fait de lui le seul homme à posséder deux quotidiens nationaux. Un reformatage des médias au profit des affaires Dans ce paysage médiatico-financier qui façonne l'opinion française, la liste n'est pas encore terminée. Il y a lieu de citer l'avionneur Serge Dassault, sixième fortune de France, qui est le propriétaire du groupe Le Figaro et les suppléments, TV Magazine et La Chaîne Météo. L'autre homme d'affaires, qui a investi dans de très nombreuses start-up et fondateur de Free, Xavier Niel, possède depuis 2010 le groupe Le Monde qui comprend, outre le quotidien du soir, Courrier international, La Vie et Télérama. En 2014, il a racheté Le Nouvel Observateur, qui devient L'Obs. Ce businessman a aussi des "petite participation" dans BFM TV et RMC. Le secteur des médias n'échappe pas également au secteur des BTP et de l'immobilier. C'est ainsi que Martin Bouygues, qui contrôle aussi Bouygues Télécom, détient près de 44 % du groupe TF1. La liste ne serait pas complète si Arnaud Lagardère n'y est compris. Après s'être débarrassé de ses activités dans l'aéronautique, il a créé un groupe autour des médias, de l'édition, la distribution et le sport. Il possède les magazines Paris Match, Elle, l'hebdomadaire d'information Le Journal du dimanche, la radio Europe 1 et des chaînes de télévisions (Gulli, Mezzo, MCM, etc.). Le petit bras de ce secteur, conquis par les milliardaires, est François-Henri Pinault qui possède, quant à lui, l'hebdomadaire Le Point. Dans un cahier spécial, édité en avril, le Canard Enchaîné a consacré tout un chapitre sur "les médias sous influence" dans lequel il fait état de "reformatage" des médias au profit des milieux des affaires, regrettant par ailleurs que la télévision publique "n'est plus la voix de la France". "L'Etat y fait toujours entendre sa voix, surtout celle de son financement", écrit-il, faisant état également de l'influence des annonceurs qui exercent, selon des témoignages, "une pression économique sur les équipes journalistiques".