La prolifération des constructions, qui poussent comme des champignons, n'est pas un phénomène propre à une région d'Algérie, mais que l'on retrouve partout au point de dire que notre pays est toujours ce vaste chantier qui ne finit pas. La tradition d'avoir une maison construite seul se perpétue, mais maintenant la tendance est à la perfection en accordant un intérêt à la décoration de façades. Des maisons aux façades ornées de pierres taillées on les trouve partout et on constate que le souci de l'esthétique extérieur des bâtisses est devenu maintenant une réalité. Décorer sa maison avec de la pierre taillée est devenu monnaie courante et l'on évoque ici et là que celle d'Iakourène (Yakourène), dans la région d'Azzazga, est la mieux indiquée pour cette décoration, ce qui fait de cette matière un marché juteux. Mais derrière cette taille soigneuse de pierres il y a bien tout un monde. Notre première destination pour en savoir plus sur ce métier est le village Beni Mansour, situé à l'extrémité de la frontière ouest de la wilaya de Béjaïa en jouxtant les wilayas de Bordj Bou Arréridj et Bouira. Ainsi, le long de la RN 5 sont exposés des amas de lames d'ardoise. «Cette ardoise noire est convoitée par ceux qui construisent que ce soit à Béjaïa, à Bordj Bou Arréridj, à Sétif ou à Bouira et presque de tout l'Est algérien», nous dira Hamid, que nous avons trouvé derrière ces ardoises exposées pour les écouler aux constructeurs et autres entrepreneurs du bâtiment. Ici, l'ardoise est arrachée puis taillée manuellement à l'aide de marteau pour ensuite être acheminée vers les lieux «d'exposition vente» sur la route nationale. Les revendeurs ne sont pas forcément les propriétaires, a fait remarquer Hamid qui nous a informés que les surfaces d'où sont extraites les ardoises appartiennent souvent à des privés qui les louent. Les coûts des locations varient entre 5 et 10 millions de centimes, et ce «jusqu'à ce que le gisement est épuisé», nous a précisé notre interlocuteur. Notre entretien avec ce jeune Hamid nous a permis de tirer certaines informations concernant cette activité en voie de l'abandon «du moment qu'elle n'est plus rentable du point de vue pécuniaire ». Nous quittons le jeune Hamid, qui aspire partir au Sud pour trouver un emploi et ne plus vendre la pierre d'ardoise, et longeons la route nationale 26 de Tazmlat à Béjaïa. Le long de cette route, l'ardoise est rarement exposée ; elle est remplacée par un autre type de pierre appelée ici communément « a pierre de Yakourène», très réputée et en vogue dans la région. Kamel, Messaoud, Mokhtar et Bachir sont des vendeurs que nous avons retrouvés le long de cette route derrière des amas de pierre taillée. Les premiers nommés achètent cett e pierre à Iakourène toute faite, tandis que Mokhtar et Bachir la taillenteux – mêmes. Un métier appris dans cette région de Ya k o u r è n e , considérée par nos deux interlocuteurs comme étant la deuxième région réputée dans la taille de pierre, après Tkout, dans la wilaya de Batna. Dans cette région des Chaouïa, on nous dit aussi que c'est là où se sont formés la plupart des tailleurs de pierres de Kabylie. Bachir a fait ses premiers rudiments à Batna pour rejoindre Iakourène puis, compte tenu de la concurrence féroce, il a rejoint la vallée de la Soummam pour devenir non seulement tailleur de pierre, mais aussi revendeur. «Les tailleurs de pierre sont, dans la plupart des cas, des ouvriers itinérants qui exercent ce métier chez des particuliers », nous dira notre interlocuteur, qui a tenu à préciser qu'ils travaillent sans aucune déclaration ni affiliation à la sécurité sociale, en d'autres termes en noir. Notre longue discussion eux nous a permis de conclure que cette pierre est acheminée de Yakourène pour être revendue sur les RN 26 et 12 aux constructeurs de Béjaïa. Les tailleurs comme Bachir utilisent la tronçonneuse pour découper et façonner la pierre sans mesure de protection respiratoire. La seule protection que nous avons constatée se limite à un masque chirurgical usé. «Ici, à Béjaïa, on s'occupe du ponçage et du polissage de la pierre», nous fait-t-on savoir, en tenant à nous préciser que la découpe et le tronçonnage s'effectuent à Yakourène à l'air libre. La plupart de ces tailleurs que nous avons interrogés ignorent tous les dangers de cette taille à la tronçonneuse qui développe des maladies telles que la silicose. Même ignorance au niveau de la direction de la santé qui ne possède aucune information sur cette maladie au niveau de la wilaya. «Nous avons uniquement des statistiques concernant les maladies inscrites dans le programme nationale de lutte», nous dira un agent du service de la prévention de la direction de la santé. Si aucun chiffre n'est disponible concernant cette maladie, au niveau du secteur de la santé de la wilaya, sa dangerosité n'est, par contre, pas un secret pour les médecins spécialistes du service de cancérologie, nouvellement ouvert à l'hôpital d'Amizour. Les médecins interrogés trouvent que, contrairement aux maçons qui s'occupent des travaux de finition au marteau et de la pose de la pierre qui ne développent pas des formes simples et non compliquées de la maladie, les tailleurs de pierre, eux, développent des formes aiguës et précoces de silicose. Nos différents interlocuteurs sont catégoriques : «La taille de pierre à l'aide de la tronçonneuse est une activité très dangereuse.» C'est justement cette exposition des tailleurs aux poussières dégagées par le tronçonnage, le ponçage et le polissage de la pierre qui est à l'origine de la silicose, nous font savoir ces médecins qui tiennent à souligner, en outre, que «le tabagisme est un facteur aggravant chez le patient atteint de silicose». A notre question sur la guérison de cette maladie, nos interlocuteurs nous ont fait savoir qu'«elle est incurable et sa prise en charge médicale ne concerne que le traitement, souvent symptomatique, des complications liées à cette maladie». Du point de vue médical, le seul remède contre la silicose est la prévention en adoptant des mesures de protection respiratoire. Par ailleurs, les médecins rencontrés à Amizour se félicitent des mesures prises par le gouvernement pour l'organisation de cette profession en prenant des mesures particulières de prévention et de protection des risques du taillage et du polissage des pierres de taille. «Nous relevons que, pour la première fois, un texte de loi définit clairement le travail générateur de poussières et renforce les mesures de contrôle pour l'application des dispositions de prévention et de protection de la profession de tailleur de pierre», relèvent avec satisfaction les médecins interrogés. Il reste maintenant le volet sensibilisation et l'application de cette nouvelle loi qui «devra être mise en oeuvre rapidement», insiste-t-on, pour stopper cette mort en silence à la tronçonneuse.