Par Boubakeur Hamidechi [email protected] Cette fois-ci, la «lettre...», habituelle, ne se soumettra pas à la dictature de l'actualité pour ne s'interroger que sur l'incompréhensible silence du chef de l'Etat au moment où le terrorisme est redevenu une menace. Encore que, même l'optimisme ne va pas gagner au change. Car le sujet que cette chronique veut aborder est d'ores et déjà une source de controverses. Il s'agit tout simplement du facétieux conte arabe calligraphié au «calame» de nos dirigeants qui viennent de doter une province désertifiée du statut de «capitale de la culture arabe». Une opération qui sent déjà le soufre de la démagogie et la prédation future des deniers publics avec les mêmes modes opératoires qui avaient prévalu à Alger (2007) et Tlemcen (2011). Constantine avec sa médina défigurée et son inculture crasse est donc invitée, pour 2015, à assumer un blason surfait que le pouvoir s'efforcera de capitaliser comme un succès de la «Nahda» nationale. Pourtant, ni la ville ni l'Algérie n'avaient besoin de cette quête de reconnaissance, alors que les états des lieux de la culture sont dans leur totalité déplorables. Pour mieux illustrer ces constats, contentons-nous de regarder, au plus près, le Constantine en question. Cette cité-là n'est-elle pas d'abord victime des poncifs, surtout de la part de ceux qui n'ont de cesse de les exhiber comme des talismans ? D'ailleurs, toutes les fois où ils ont prétendu qu'elle était une bonne destination culturelle, n'ont-ils pas égaré le voyageur qui ajoutait foi à cette promesse ? A sa désolante surprise, celui-ci faisait en effet la découverte d'un ghetto, lui qui espérait pérégriner dans une Andalousie-sur-Rhumel. Il est vrai que les pires désenchantements frappent notamment ceux qui n'ont que ce souci-là. Quant aux «autochtones», engourdis par leurs vieilles racines, ils ont définitivement mis au placard cette fierté identitaire, passée déjà de mode. C'est ainsi qu'il en va, tout autant des idées reçues, que les lieux-dits géographiques : les deux résistent à la réalité faute d'un minimum de courage intellectuel pour tordre le cou aux premières et prendre ses distance avec les seconds. De cette absence de regard objectif, cette cité ne survit, il est vrai, que dans un imaginaire collectif qui ne serait, au mieux, que la caricature d'un passé. Il suffit de dégonfler la légende et mettre à bas certains mythes pour constater la qualité dérisoire de son capital culturel. Mais le paradoxe politique de cette «désignation» est qu'il s'efforce de se justifier par la décadence de cette ville ! En effet, n'a-t-on pas entendu la ministre de la Culture ne s'expliquer, sur le déficit que celle-ci accuse, qu'en mettant en avant la manne financière dont elle sera dotée d'ici à 2015. Comme s'il était possible d'exhumer un prétendu «âge d'or» d'une cité par la seule magie de l'argent ! En vérité, il en est de Constantine comme de toutes les grandes métropoles du pays. Toutes sont à l'image de la clochardisation générale. Et la culture justement n'est pas mieux épargnée ici qu'ailleurs. De la même manière que le piétisme des mosquées ne pouvait faire de Tlemcen une «qibla» nationale le rayonnement de la langue arabe n'est certainement pas l'apanage de la patrie de Benbadis. Allons donc à l'essentiel, c'est-à-dire à ce qui se cache derrière cette frénésie de festoiements au frais du contribuable et dont la culture nationale ne tire aucune plus-value. Car cette ventilation de titres pompeux qui depuis un lustre (2007, 2011, 2015) continue à faire de l'Algérie les bailleurs de fonds de fantomatiques institutions, ne relève-t-elle de la sordide promotion du régime ? Et pour cause, l'on ne parlera pas mieux arabe et il n'y aura pas plus de chefs-d'œuvre littéraires édités dans cette langue après la séquence constantinoise que ne l'ont été les retombées de l'année d'Alger en 2007. C'est dire que la multiplication de ces «années» transnationales ne s'investit pas dans un quelconque souci de donner du souffle à un pays particulièrement en retard culturellement. Dispendieuses, elles sont en réalité des plans de charge uniquement destinés à la promotion extérieure du régime. Mieux encore, les critères à l'origine du choix des villes sont eux-mêmes conditionnés par des arrière-pensées régionales. Une sorte de parité du génie des peuplades algériennes. Constantine hérite de l'arabe pour attribut alors qu'elle ne peut même plus se prévaloir d'un quelconque rayonnement dans les terres intérieures. A peine si elle est, de nos jours, identifiée comme une ancienne arrière-cour de cet enseignement. En fait, elle n'est qu'une nostalgie inopérante. Un regret en somme pour ceux qui ne survivent que par le souvenir de ce qui n'est plus. Bref, «Constantine capitale de la culture Arabe» n'est-elle pas, in fine, une escroquerie savamment imaginée au nom d'une culture imaginaire ?