Il est parti un 28 octobre de l�ann�e 1989� Les biographes pointilleux pr�cisent que ce fut un lundi, mais ce d�tail n�a aucune esp�ce d�importance. Ils ajoutent m�me qu�il fut mis en terre un 1er novembre, jour de la c�l�bration patriotique. Or, ce rappel informatif donne une autre perspective � la ferveur po�tique qui l�accompagna au moment o� l�Alg�rie officielle, celle des �fr�res monuments�, autosatisfaite d�ployait, elle, son cirque politique. Dernier pied-de-nez du po�te qui, sans s�encombrer de l�origine de ses mots, avait dit et parl� de sa terre comme lorsqu�on �voque une blessure jamais gu�rie. Ou alors convoqu� les �anc�tres� afin qu�ils red�finissent l�identit� du peuple et les lieux-dits de ses racines. Il l��crivit d�abord dans la langue de �l�autre� qu�il s�appropria pour mieux le sommer � entendre sa r�volte et �couter ses dol�ances. Il le poursuivit ensuite � travers les dialectals de tous les sans-voix abus�s par les nouveaux ma�tres d�un pays qu�ils transform�rent en rente viag�re de la politique. Mais jamais, au grand jamais, il ne chercha � stigmatiser le cousinage linguistique qu�il consid�rait d�ailleurs comme notre plus pr�cieux butin. Parce qu�il fut un po�te fraternel mais sans concession, il a �t� souvent en butte � la censure des grands tartufes de la culture nationale. Comme tant d�autres apr�s lui, Djaout notamment, il fut �galement victime de certains gribouilles inquisiteurs sur commande. Ceux qui, depuis longtemps, les ont qualifi�s �d�expatri�s linguistiques � voire de �reliquats de l�ali�nation coloniale�. (1) Vaines insultes qui n�alt�rent en rien la grandeur de ce commandeur des lettres alg�riennes et ne font pas de certains cabotins, postillonnant une prose insipide, des �crivains reconnus. Autant donc de raisons d��voquer ce Kateb qui n�est autre que son double : ce �cadavre (po�tique) encercl� par la meute des procureurs de la litt�rature nationale. - �Approchez, approchez tous ! Tout le monde peut ici s�inscrire au barreau. Mais ce sera de l�autre c�t� du pr�toire, car la loi va changer de camp. Ma�tre votre condamnation sera l�g�re�.� (Acte II, sc�ne 3 du Cadavre encercl�). Cela dit, comment faire pour prendre langue avec cette statue du commandeur et lui soutirer quelques bribes d�une existence d�sormais p�trifi�e ? En somme parvenir � extraire de la l�gende l�humus d�une vie d��crivain. A le relire, il semble a priori que notre entreprise soit d�avance vou�e � l��chec. �La l�gende, indiquait-il, prend le pas sur l�histoire (�.). Rien n�appartient � l�homme ; il doit tout partager dans le myst�re terrestre, son secret, sa passion m�me en �change de son existence � venir. Ceci est essentiel pour le d�nouement de la trag�die o� la l�gende se montre plus vraie, plus g�n�reuse, plus lucide que l�histoire. C�est la revanche du verbe ancien, de la po�sie dans le th��tre et sur le th��tre�. (2) Ainsi, la cause du po�te, tel qu�en lui-m�me, est par avance entendue. Car il est difficile de la plaider en dehors des mythes qui ont pr�sid� � sa cr�ativit� et qui ont veill� sur le sens nouveau qu�il donnait � ses mots pour en faire des proph�ties destin�es � ceux qui savent encore les d�crypter. A l�introuvable �tre de sang et de r�ves, il faut vite substituer le granit des mots qu�il a l�gu� � nos lectures. Mais qui lit encore Kateb Yacine dans le texte et quel barde peut se pr�valoir de d�clamer de m�moire la litanie du �vautour� ? Le scribe au verbe incisif et secret n�existe d�sormais que par la magie du �nom� qu�il a habit� douloureusement. Ce �refuge� nominal dont les cl�s sont multiples et n�appartiennent qu�aux initi�s. Cailloux d�une �uvre �parse � la densit� parfois opaque selon le v�u de son g�niteur, ce p�lerin des deux mille lieues de la m�moire tatou�e de son pays. Vigie intransigeante qui d�l�gua �sa� �femme sauvage� aupr�s du �vautour� pour lui signifier qu�il n�est qu�un : �Hi�roglyphe solaire � /�. Grand sculpteur de squelettes / et qui se �. �Consid�re comme un artiste�. � (3). Homme de calame � la fulgurance inimitable, il �tait par contre un pi�tre d�batteur. Homme d��coute bien plus que de parole il ne sut jamais faire l�ex�g�se de son �uvre quand des auditoires le sollicitaient. En cela, il ne diff�ra gu�re de l�image que l�on s�est toujours fait des po�tes tragiques totalement prisonniers du point final au bas de leur parchemin. �J�avoue �tre poss�d� par une esp�ce de d�mon int�rieur qui me pousse � creuser en moi-m�me le plus loin possible. Au fond, une grande partie de mon travail est inconsciente� (4). Tel est le secret de sa gestation po�tique. Dans un essai intitul� Mort et oiseau de mort chez Kateb et Dib Jean Dejeux explicite encore mieux cette �rumination� de la m�moire. �La cr�ation, �crit-il, prend souvent appui sur un background tr�s ancien � la fois arabo-berb�re et m�diterran�en. Cet arri�re-plan d�oralit� et de traditions enrichi de g�n�ration en g�n�ration n�est cependant pas toujours pr�sent � l�esprit du cr�ateur �videmment. Mais le po�te surtout, lib�rant son imaginaire et laissant appara�tre ses fantasmes restitue � sa fa�on consciemment ou inconsciemment ce tr�fonds culturel et pluriel.� (5). Le recoupement de l�aveu personnel par l�analyse acad�mique �claire le processus de cr�ation chez Kateb Yacine. Il en souligne fortement ce qui le caract�rise fonci�rement. C'est-�-dire exclusivement le souffle po�tique qui n�emprunte � la prose romanesque ou � l�architecture th��trale que le strict minimum. Nedjma abusivement intitul� roman, n�est-il pas une trame po�tique qui s�enroule au lieu de se d�rouler lin�airement ? Et la trilogie du Cercle des repr�sailles ne ressemble-t-elle pas � un oratoire profane o� les com�diens ne sont que des orants au lieu de tenir des r�les ? Ce que Edouard Glissant, dans la pr�face de la premi�re �dition, a, justement, qualifi� de �r�alisme po�tique� ajoutant que c�est l�, une �mani�re qui d�passe si consid�rablement la plate uniformit� de r�alisme int�gral�. D�sormais pr�serv� par la solitude de l�accomplissement total, le po�te nous est restitu� comme le p�re fondateur de la litt�rature maghr�bine. Boudjedra et Benjelloun, Waciny Laaredj et Abdelatif Laabi savent ce qu�ils doivent � cet �claireur qui alluma la premi�re lanterne en d�cembre 1954 en publiant dans la prestigieuse revue Esprit son Cadavre encercl�. Ce gisant de Lakhdar auquel il pr�ta cette injonction inalt�rable : �Toutes les peines sont capitales / Pour celui qui parvient au centre / Au centre du destin.� Majestueuse �pitaphe pour un po�te sans testament. B. H. N. B. :nous ne saurons que conseiller la lecture des ouvrages de Benamar M�di�ne et Abdoun. Le premier pour la flamboyance narrative de la vie et l��uvre du po�te et le second pour la sobri�t� de son travail acad�mique. (1) Encore une fois, Tahar Ouatar insiste sur le fait que l�assassinat de Djaout en 1993 est d�abord pr�judiciable � la litt�rature fran�aise. Propos qu�il a tenus le lundi 22 octobre au centre culturel fran�ais de Constantine et rapport�s par El-Watanet An- Nasrdu 23/10/07. (2) Indication sc�nique dans Les anc�tres redoublent de f�rocit�. (3) R�plique de la Femme sauvage au �vautour� dans la pi�ce les Anc�tres (4) Propos cit�s dans l�opus La litt�rature alg�rienne contemporaine collection, Que sais-je ? (5) In la revue Levant, mai 1988.