Un regard percutant sur une société où l'individu meurt plusieurs fois. Sociologue de formation Yahia Belaskri vient de publier en France son premier roman intitulé Le bus dans la ville (1). Un cadre prend le bus comme d'habitude pour rejoindre l'entreprise où il travaille. Au cours de la traversée, son regard se pose sur la ville natale. La reviviscence de la mémoire fait émerger des souvenirs sur les quartiers, la famille, les voisins, les amis, les artistes. C'était en cette journée d'hiver. La lueur du jour déplie ses dernières énergies pour dissuader les ultimes obscurités de l'aube. Les personnages du roman sont tous dévorés par l'espace. « Nul ne résistait à cette ville, ni Camille, ni Manon, ni Kamel, ni Kad, ni tous les autres. Elle est maudite » (P121). Et plus loin : « Djamel, le gamin insolent, parti trop sur un chemin boisé, un arbre en travers de la gorge ; Toufik, humilié, battu par les chiens en furie, mort sur les sentiers des rêves inaboutis ; Samir, revenu de Sartre et de Nietzsche pour s'enfoncer dans la gueule des chiens, perdu sur une route parsemée de compromissions ; Azzouz, le sportif à la taille imposante, pleurant à chaudes larmes sa déchéance ; Jilo, l'artiste, devenu méconnaissable par la maladie, traînant une toile déchirée ». (P125). Chaque empan de l'espace porte toute une mémoire. Chaque parcours individuel reflète les tourments d'une société en déliquescence où « la jeunesse est un crime ; l'intelligence est un crime la beauté est un crime » (PP73-74) Le temps et l'espace se confondent et broient l'individu L'auteur a utilisé des flash-back mettant en lumière une mémoire fêlée, un passé ignoré, un présent sans repères. C'est le mort qui saisit le vif. L'homme devient un champ de bataille. Bataille dont l'issue est l'autodestruction, la prison, l'alcool, le suicide. Le bus dans la ville est un roman de l'espace et du temps en conflit avec l'individu qui les subit dans sa quête inassouvie de la vie. C'est aussi un regard sur la société algérienne dans sa décadence et ses drames. Une société où l'individu a souvent peur de mourir plusieurs fois, en d'autres termes mourir sans avoir vécu. « La peur, oui c'était la peur. C'était la peur qui m'angoissait, m'étouffait presque. La peur de mourir. Mourir pour rien, bêtement. Mourir sans vivre. Cela me terrifiait. Comment peut-on mourir si on n'est pas en vie ? Il faut vivre pour mourir. Vivre et rêver. Vivre c'est être digne, rêver c'est s'indigner. Si l'on n'est pas digne, si l'on ne s'indigne pas, comment peut-on mourir ? Et comment mourir ? », (PP8-9) s'interroge l'usager du bus. (1) Yahia Belaskri. Le bus dans la ville. Editions Vents d'ailleurs. France 2008.126P