Il est revenu après des années d'absence. Il s'aperçoit que sa ville a changé. Il ne la reconnaît plus. Il se réfugie alors dans le bus des souvenirs, qui le mènera vers son eldorado, vers sa vie d'autrefois. Sorti d'abord en France aux éditions Vents d'ailleurs, le Bus dans la ville est le premier roman de Yahia Belaskri. Ce bref récit de 85 pages est une véritable ode à Oran : la ville natale de l'auteur. Ce dernier plante le décor dans un bus, où évolue le personnage principal, également narrateur, qui à coups de souvenirs et de réminiscences retrouve son passé, et sa vie d'autrefois, dans cette ville froide et hideuse, surtout la nuit, qui est belle par les souvenirs que le personnage garde en mémoire. Il est parti, ils sont d'ailleurs tous partis. Les gens qu'il a connus, aimés et côtoyés autrefois ont presque tous été emportés par la mort, la vie et l'exil. Mais grâce à ce bus, le personnage/narrateur fait une halte et revoit les images et les visages des personnes qu'il a connues autrefois et qui ont marqué sa vie à tout jamais. Il a cru les avoir oubliés, mais leur empreinte reste indélébile dans son cœur et dans sa mémoire. La nature humaine est très étrange de ce point de vue-là puisqu'au moment où on croit avoir tiré un trait sur le passé ou avoir oublié les gens qu'on a aimés et qui nous ont quittés, on s'aperçoit qu'ils sont toujours en nous, et qu'il suffit peut-être d'une pause, d'une inspiration, d'un geste, d'une halte, d'un arrêt, voire de l'arrêt d'un bus (comme c'est le cas dans ce roman), pour qu'on les revoie, plus vrais que nature, vivants… en nous, et évoluant comme autrefois. Ce qui est encore plus étrange dans ce roman, c'est que le narrateur redécouvre à la fois l'existence de ces gens-là en lui, tout en se redécouvrant lui-même. Il se reconstruit dans son regard du passé, pour se projeter dans le présent d'une société et d'un pays qui ont changé en son absence. Sa ville a tellement changé qu'il ne la reconnaît plus… ou du moins, pas sans l'aide du mécanisme de la mémoire et des hommes et des femmes qu'il a connu autrefois. Le narrateur/personnage se remémore sa vie de famille, ses premières amours, sa passion pour le théâtre et sa révolte. Il y a de la vie dans ce livre, ce qui contraste joliment avec la noirceur et la froideur du bus, qui rôde dans la ville, emmenant ses passagers vers une destination, inconnue pour le lecteur. Ce bus qui d'ailleurs est précédé par le pronom défini “le”. Ce n'est pas n'importe quel bus, c'est “le” bus qui emmène vers un ailleurs et un avenir meilleur, mais les passagers de ce bus, ne semblent pas être prêts pour le grand voyage. Bien que bref, court et concis, le texte de Yahia Belaskri est difficile à lire. Pas dans le sens d'incompréhensible ou qu'il faut se munir d'un dictionnaire pour comprendre sa langue ; mais difficile dans le sens où le propos est très chargé symboliquement. Il est difficile parce qu'il retranscrit la peur. En effet, Yahia Belaskri écrit la peur ! Il écrit sur l'Algérien – monsieur Tout-le-monde – qui a eu tellement peur dans le passé, qu'il est aujourd'hui effrayé et terrorisé de se projeter dans l'avenir. Le personnage/narrateur ne fait pas et/ou plus partie de ces gens-là, perdus et hagards, il est parti, il a été sauvé, lui, et c'est devenu un étranger. Ceci n'influe pourtant pas sur le personnage qui ne prend pas conscience de différence – et qui aurait pu constituer une force. Et comme “partir, c'est mourir un peu”, ce personnage est comme tous les autres ; aussi perdu que ceux qui l'entourent dans ce bus, qui montent et qui descendent au gré des arrêts que le bus marque. Ces derniers ont un drôle d'effet sur le narrateur qui retourne soudain à la réalité – pour quelques minutes seulement – puisque dès que le bus redémarre, il retourne à son passé, plus clément et plus gai que la réalité qui l'entoure, qui l'encombre et qui l'étouffe. Le bus dans la ville de Yahia Belaskri, qui a d'ailleurs participé à la résidence d'écriture dans le cadre du Panaf' 2009, est un roman à lire, à relire et à conseiller… Le Bus dans la ville de Yahia Belaskri, roman, 85 pages, éditions Apic, collection Résonances, Algérie, octobre 2009, 400 DA