C'est l'endroit choisi pour la résidence d'écriture du deuxième Festival culturel panafricain (Panaf 2009). Gabril Oukoundji, Yahia Belaskri, Suzanne Tanella Boni, Anouar Benmalek, Alain Mabanckou, Eugène Ebode, Ibrahima Aya, Sami Tchak, Hamid Skif et Rachid Boudjedra sont ensemble depuis plusieurs heures. Ils seront rejoints par Louis-Philippe Dalembert et Kebir Ammi. Ils réfléchissent, chacun à sa manière, à un texte. Pas forcément sur le thème suggéré, « Alger l'Africaine ». Aux journalistes invités au débat avec les écrivains, Karim Chikh des éditions APIC a précisé que les invités sont libres d'écrire ce qu'ils veulent. « Nous n'avons pas fixé de thème, mais nous souhaitons publier un recueil de nouvelles sur “Alger, l'Africaine''. Cela dit, on ne veut pas prendre en otages les écrivains », a-t-il relevé, soulignant que c'est la première fois qu'une résidence d'écriture est organisée en Algérie. Le romancier congolais Alain Mabanckou s'est élevé sur ce qu'il a appelé « la littérature de moutons » et a plaidé pour l'indépendance de l'écriture. « On doit s'éloigner de la démagogie », a-t-il dit, rejoint par l'Ivoirienne Tannela Boni qui a estimé qu'on ne commande pas un texte. « On ne peut savoir d'où peut venir l'élément déclencheur. Il suffit d'une humeur pour que tout change », a-t-elle noté. Le Togolais Sami Tchak a prévenu que la situation peut être pire, en ce sens que l'écrivain risque de ne rien trouver à mettre sur du papier. Le Congolais Gabriel Okoundji, qui se présente comme « un apprenti poète » a, lui, relevé avec philosophie que rencontrer des journalistes algériens et discuter avec eux est déjà un texte en écriture. Il a réclamé la liberté d'inspiration et celle de regarder l'Algérie en ce qu'elle peut suggérer « en termes de paroles, de lumières et de maux ».L'auteur de Prières aux ancêtres se dit observateur des mots. La modestie de Gabriel Okoundji, l'un des plus grands poètes africains, a fait réagir Alain Mabanckou qui a lancé : « Avez-vous vu “un apprenti-poète”qui a écrit dix livres ?! » Psychologue de profession, Gabriel Okoundji a reçu en France le prestigieux prix Pey de Garros de la meilleure poésie. Vent fou me frappe et L'Âme blessée d'un éléphant noir sont parmi ses recueils les plus connus. « Je viens du silence », a dit, la voix apaisée, Tannela Boni, poète et romancière. « J'ai passé toute mon enfance dans le silence. Il m'arrive de passer une journée entière sans ouvrir la bouche », a-t-elle dit. Elle a publié six recueils de poèmes et quatre romans, le cinquième est en cours d'impression. Matins de couvre-feu, inspiré de la violence qui a lacéré la Côte d'Ivoire, a valu à Tannela Boni une interdiction d'entrée dans son pays. En Suisse, le roman a reçu le prix Ahmadou Kourouma. Tannela Boni, professeur de philosophie, a toujours voulu raconter les histoires d'enfermement. « Pourquoi les gens ne se rencontrent-ils pas ? Et que se passe-t-il lorsque dans un pays si les gens ne peuvent plus respirer ? », s'est-elle interrogée. Le Camerounais Eugène Ebode, lui, réclame sa part du bruit. Bruit des plaques tectoniques. « La fracture ne s'est pas achevée », a-t-il soutenu. Il en est de même des « conquêtes », celle de la liberté et de la dignité. L'auteur de La Sublime Négrité de Pouchkine a évoqué le cas des pygmées, les petits hommes des forêts tropicales persécutés par les « grands » hommes. Pour lui, l'identité africaine est diverse. « La nature a horreur de l'uniformité », a-t-il appuyé. Essayiste, romancier et poète, Eugène Ebode est un excellent conteur et chroniqueur. En 2006, il a publié Grand-père Boni et les contes de la savane. Il écrit une chronique littéraire dans Le Courrier de Genève. Hamid Skif se dit habité par les questions de mémoire. Il a annoncé la publication prochaine d'une biographie de l'artiste peintre algérien Abdelkader Guermaz, mort dans l'oubli à Paris en 1996. « J'essaye de rendre justice à cet immense peintre algérien », a-t-il précisé. Un DVD sur l'œuvre de Guermaz, adepte de « la réalité poétique », sera donné aux écoles à leur demande. Hamid Skif, qui vit en Allemagne, publiera bientôt chez APIC deux essais, Les Escaliers du ciel et Une si grande enfance. Interpellé par la série de kidnappings d'enfants en l'Algérie ces dernières années, Anour Benmalek publiera, fin août 2009, chez Fayard à Paris, Le Rapt, un thriller. Il y dénonce « la violence souterraine » qui habite l'Algérie. Dans ce roman, l'auteur raconte l'histoire d'un adolescente de 14 ans enlevée par « un étrange ravisseur ». Aziz, son père, ne veut pas solliciter les autorités et se fait aider par Mathieu, le beau-père de sa femme, un Français « au lourd passé ». « C'est l'histoire d'êtres ordinaires mis dans des conditions extraordinaires », a-t-il expliqué. Après les critiques soulevées par son roman, Ô, Maria, qualifié d'hostile au culte musulman, Anouar Benmalek s'était juré de ne plus écrire sur l'Algérie et le monde arabe. Mais, il s'est rendu compte que ce n'était pas possible. Il est temps, selon lui, de tout dire sur la guerre de libération et sur ses pages noires. « Nous n'avons pas eu le courage d'assumer ces mensonges en tant que nation », a-t-il soutenu. « Nous n'avons pas le droit d'oublier les 200 000 morts des années 1990 et ce qui s'est passé », a-t-il appuyé. Traduit en dix langues, Anouar Benmalek, qui est docteur d'Etat en statistiques, est l'auteur de plusieurs romans tels que L'Enfant du peuple ancien et Ce Jour viendra. Yahia Belaskri, sociologue et journaliste, a annoncé la publication prochaine chez APIC de son roman, Le Bus dans la ville, sorti en 2008 en France. Roman, plutôt bien accueilli par la critique. Yahia Belaskri y raconte, avec douleur, l'état lamentable dans lequel se trouve la ville d'Oran, abandonnée à l'anarchie urbaine et au manque de propreté. Situation que partagent plusieurs autres villes du pays. A Alger, au Boulevard Che Guevara, Alain Mabanckou a été interpellé par la démarche d'une vieille dame voilée. « Elle marchait puis s'est arrêtée. Elle s'est retournée et m'a regardé. Je me suis rendu compte qu'elle était noire. Et je me sentais comme son fils. Cela m'a donné des idées... », a confié l'auteur de Black Bazar. L'écrivain malien Ibrahima Aya a évoqué la création d'une maison d'édition portant le nom de Tombouctou, « la ville carrefour ». Une édition qui décerne chaque saison des prix aux meilleures œuvres africaines. Tanella Boni, qui fut présidente de l'Association des écrivains de la Côte d'Ivoire, a dénoncé la mainmise des groupes d'édition occidentaux sur l'Afrique et l'éclatement des maisons d'édition africaines. « Cette situation fait que les livres ne traversent pas les frontières de nos pays », a-t-elle soutenu. Eugène Ebode a plaidé pour que les auteurs s'engagent à se faire éditer en Afrique.