Mohamed, 23 ans, en casquette et lunettes de soleil, se prélasse au bord de la jolie plage de Zemmouri El Bahri. Torse nu et vêtu d'un short, Mohamed arbore un bandage au pied gauche, une blessure heureusement légère, séquelle de l'attentat de l'avant-veille estampillée sur son corps frêle. Mohamed regarde la mer en devisant de temps à autre avec l'un ou l'autre de ses copains. Comme nombre de riverains, il l'a échappé belle. Gouailleur et plein d'humour, Mohamed prend la chose avec philosophie : « Ça aurait pu être pire », sourit-il, avant de lâcher : « Décidément, je n'ai pas de chance. L'an dernier, je suis venu passer quelques jours et il y a eu une bombe pas loin d'ici. Cette année, j'étais en plein dedans. Mais pour autant, je poursuivrai mes vacances ici. C'est un endroit paradisiaque malgré tout. C'est mieux que d'aller claquer son fric en Tunisie. » Mohamed habite à Bab El Oued, où il vit de petites bricoles. Chaque été, il vient passer quelques jours, à Zemmouri-Plage, avec ses cousins qui tiennent une gargote à l'orée de la plage. « J'étais à l'intérieur de la gargote quand l'explosion nous a surpris. Nous avons subi de plein fouet la violente secousse produite par l'attentat qui a soufflé une partie de la toiture et projeté en l'air nos ustensiles de cuisine. C'est au milieu de cette pagaille que je me suis blessé », confie-t-il. Un autre renchérit : « En entendant la déflagration, j'ai cru à un séisme », en écho au traumatisme indélébile du tremblement de terre du 21 mai 2003, qui avait fortement ébranlé la région. La gargote étale ses fêlures, des dégâts cependant légers. A 200 m de là, une caserne des gardes-côtes, cible de l'attentat, exhibe une façade partiellement éventrée. Pour rappel, cette attaque terroriste s'est produite dans la nuit de samedi à dimanche à 21h30. Un kamikaze à bord d'un véhicule de marque Toyota s'est fait exploser non loin de la caserne en question. Bilan : 8 morts, tous des civils, et 19 blessés, dont 3 gendarmes. A notre arrivée, des blindés aux couleurs de la Gendarmerie nationale émergent du ventre de cette petite localité balnéaire, signe d'un déploiement vigoureux des services de sécurité. En face du cantonnement, les dégâts sont plus spectaculaires. Les bureaux de l'antenne locale de l'Office national d'assainissement ont été lourdement atteints. Des maçons s'affairent à rafistoler le mur d'enceinte dudit office soufflé par la déflagration. Deux maisons d'été ont été sévèrement touchées, de même qu'un magasin d'alimentation générale. L'épicerie est sens dessus dessous. Des jeunes s'emploient à y remettre de l'ordre à grand-peine. Des dommages de moindre importance étaient visibles tout autour, sur un rayon de 100 m. Lounès, propriétaire de l'une des deux résidences estivales, une belle demeure de style mauresque, était occupé à dégager les décombres, aidé par l'un de ses fils et des bras amis. « Dieu soit loué, nous ne déplorons aucune victime. J'avais loué cette maison et au moment des faits, il y avait deux familles qui passaient leurs vacances ici. Elles s'en sont sorties indemnes », soupire Lounès. Le plafond de la maison est défoncé et les vitres ont volé en éclats. « Dans la maison d'à-côté, il y avait une famille qui devait venir y passer quelques jours ; elle y a renoncé à la dernière minute. Elle était donc vide au moment de l'attentat, Dieu merci. Moi-même, je n'étais pas là. J'étais à Zemmouri-ville, ce qui m'a sauvé la vie. En revanche, on déplore la perte de nombreuses personnes qui étaient de passage. » Parmi ces dernières, un jeune vendeur de cigarettes, très apprécié de ses congénères. Le soleil plus fort que le GSPC La plage, si elle n'est pas noire de monde, n'est pas déserte non plus. Elle connaît même une bonne animation pour des circonstances si peu engageantes. Deux gendarmes en kalachnikovs accourent pour s'enquérir de nos « agissements ». Du haut de leurs guérites, des sentinelles scrutent le moindre mouvement de toute personne pénétrant dans le périmètre de sécurité de la caserne des Marines. Des riverains témoignent : « Juste après l'attentat, il y a eu des tirs nourris qui fusaient de la caserne. Il faisait nuit et ils avaient peur d'une attaque terroriste. Ces tirs ont touché de nombreux civils. L'un de nos amis a été touché par une balle qui lui a transpercé le visage. N'était cette riposte anarchique, nous aurions pu secourir nombre de victimes », affirment-ils. Ces travailleurs précaires qui vivotent du travail de la mer et qui attendent toute l'année l'approche de la saison estivale pour mettre un peu d'argent dans leur escarcelle sont particulièrement attentifs aux retombées psychologiques de ces menées du GSPC qui, comme à chaque saison similaire, s'acharne à pourrir l'été aux Algériens. « Nous n'avons que ces deux maigres mois pour boulotter un peu, encore que nous sommes saignés par le prix de la location des plages qui est de l'ordre de 10 000 DA par mois. Ces attaques, poursuivent-ils, ne nous nuisent pas autant que la « publicité négative » faite à notre région qui la présente comme périlleuse et entièrement ravagée par le terrorisme. » Un jeune qui veille sur une parcelle de plage, comme d'autres s'autoproclament gardiens de parking, nous propose une petite niche en toile à 200 DA. « Comme vous le constatez, la plage continue d'exister et les familles à venir en force », dit-il. De fait, le plan d'eau est envahi par les bambins. Un père de famille lance : « Je viens chaque année avec mes enfants à Zemmouri et les plages des environs et ce n'est pas un attentat qui va me décourager. El mout ouahda (on ne meurt qu'une fois). » Un autre, originaire de Bouira, abonde dans le même sens : « Nous passons de bons moments en famille. Le coin est féerique et on est tranquilles ici. » Fatalisme ou mécanique de l'habitude rôdée par une guérilla durable, le résultat est là : les plages de Boumerdès et ses dépendances gardent tant bien que mal leur « clientèle ». Ces fidèles sont originaires de la région pour l'essentiel et des wilayas limitrophes : Bouira, Alger, Tizi Ouzou, Blida… Cela explique la constance de l'affluence. « Mais côté campeurs, il y en a qui ont plié bagage après l'attentat », tempère un jeune vendeur de cassettes. Il semblerait, en effet, que ce sont plutôt les estivants ayant opté pour la formule camping ou long séjour qui sont les plus sensibles au fracas des attentats. Ceux qui viennent pour la journée ne semblent pas dissuadés outre mesure, eux qui ont pris le pli après tant d'années de « cohabitation » avec le GSPC. En quittant Zemmouri, nous nous heurtons à un barrage de pierres, improvisé par des militaires, contraignant les automobilistes à se fourvoyer dans des pistes aussi cahoteuses que chaotiques avant de rejoindre la nationale. De longues files de voitures se perdent ainsi dans ces chemins de traverse au grand dam des estivants qui continuent d'affluer courageusement pour prendre leur part de mer et de soleil envers et contre tout. Cela semble être une de ces mesures prises à la hâte pour déjouer toute velléité d'attentat à la voiture piégée. Des fortifications bétonnées sont dressées de longue date devant tous les baraquements des structures de sécurité. La route jusqu'à Alger est un enfer de barrages policiers, le plus souvent inefficaces, qui redoublent la fournaise du mois d'août en provoquant des bouchons monstrueux et l'ire des automobilistes. Mais cela ne semble pas décourager Mohamed, qui en supporter chevronné de l'USMA et malgré un pied entouré de bandages aseptisés, tenait à se déplacer jusqu'au stade de Bologhine pour pouvoir suivre in situ le choc USMA-JSK. En promettant de revenir à Zemmouri sitôt le match consommé…