« L'écriture est un défouloir. Elle sert à évacuer toute la violence qu'on a en nous et toutes nos emmerdes. C'est pour ça que dans la vie, je suis une fille très saine ! » Il ne faut pas se fier à ses ballerines de papichette ni à ses fines mains d'adolescente qui virevoltent ni à ses rires de fillette qui fusent aussi vite que ses mots. A 21 ans, Kaouther Adimi est un curieux mélange de gravité cynique et de naïveté. Les jurés du prix Mohammed Dib ont flairé ce cocktail détonant qui explose en mots assassins puisque, début mai, ils ont retenu Le Chuchotement des anges, son recueil de nouvelles, parmi les quatre ouvrages sélectionnés, pour la récompense littéraire, attribuée à Kamel Daoud pour L'Arabe et le Vaste Pays de Ô. Et ce n'est pas tout. Fin mai, elle a aussi remporté le 6e prix parmi les seize finalistes du prix du Jeune écrivain francophone. Une habitude, en somme, pour la jeune Algéroise qui a déjà eu le titre suprême en 2007 et la même année le quatrième prix des Insomniaques, un concours de nouvelles. L'exil, le terrorisme, le viol… les thèmes qu'elle choisit pour ses petites histoires sont familiers, sont récurrents dans la création nationale. « Oui, je sais, la littérature algérienne est un peu enclavée, mais moi, je n'arrive pas à faire abstraction de la réalité pour écrire autre chose », se défend-elle. On s'en fout, ça marche. Avec ses mots à elle, les sujets paraissent neufs, insolents comme un crachat sur les non-dits de cette société qui l'inspire. Les jurés du prix Mohammed Dib ont, d'ailleurs, été frappés par « l'écriture éruptive de l'auteur, qui décrit un univers de violence et de vies condamnées dans un cri à couper le souffle. » Dans le monde de Kaouther, la victime n'aime pas le rouge de son sang, « couleur trop chaude, trop lourde. Elle pue ». Le père incestueux qui « glisse une main sous mon pull de pyjama en coton blanc » a un « un rire étranglé d'alcoolique en manque ». A la future harraga qui se prostitue, elle lâche : « pleure d'atteindre le plaisir là où tu croyais recevoir la douleur. » Encouragée par Afifa Brerhi, Yemile Ghebalon Haraoui et Ismaël Abdoun, ses professeurs, mais aussi ses parents, des écrivains parrains (Jean-Noël Blanc, Christine Goemé) et des auteurs qu'elle admire (le libanais Rachid El Daif ou la mauricienne Ananda Devi), elle travaille maintenant sur un roman et aimerait donner corps à une pièce de théâtre, où Larbi Ben M'hidi, de retour sur terre, se retrouve face aux hitistes de la rue d'Isly. « Je suis aussi assez tentée par la littérature jeunesse, ajoute-t-elle. Il existe peu de choses et les histoires sont nazes. Elles finissent toutes bien. Avec moi, elles commenceraient par “Il était une fois” mais se termineraient par “Mais ils étaient en Algérie et n'avaient pas d'argent pour se payer un loyer !” » Kaouther écrit déjà sur les enfants, sauf que dans ses lignes, la sucrerie a un goût amer. Celui du diabète de Nesrine, qui aime tant les baklawas. « Elle s'en fout, elle aime ça. Les amandes et le miel la font vibrer d'un plaisir presque charnel. Elle se sent sensuelle, avec un gâteau dans la bouche ». Alors, quand on l'emmène sur le terrain de la polémique, forcément, on n'est pas déçu. Boudejdra qui reproche aux jeunes auteurs de ne pas être assez érudits, ça lui inspire quoi ? « Je ne suis pas du tout d'accord. Je crois que les jeunes, déjà au lycée, ont une culture immense. Peut-être pas celle de Rachid Boudejdra, mais ils en ont une. Ils s'intéressent au cinéma, au théâtre, écrivent sur les murs. Ils lisent aussi. Pas les écrivains qu'a lus Rachid Boudejdra mais d'autres ». De toute manière, Kaouther s'en fiche bien, elle qui ne veut pas être écrivain. « J'écris pour répondre à des questionnements. Si ce que je fais est nul, tant pis, je ne publierai pas, se résigne-t-elle dans une moue. Je les laisserai sur mon ordi, pour mes enfants qui les liront quand je serai morte ».