« Il est des parfums frais comme des chairs d'enfants, doux comme les hautbois, verts comme les prairies… » (Charles Baudelaire) A l'inverse, il en est d'autres, serions-nous tentés de dire, enivrants comme des vinasses, entêtants comme les mauvaises émanations, synthétiques comme de sournoises alliances. Et d'autres plus ou moins ceci ou cela. Le domaine de la parfumerie est tellement vaste qu'il reste ouvert à toutes les manipulations alchimiques possibles et imaginables. Ne dit-on pas que tous les goûts sont dans la nature ? Et qui veut y opposer la condition préalable d'avoir une maîtrise parfaitement savante des ingrédients et de la préparation des mélanges pour prétendre à l'exercice de ce métier déchantera vite en constatant qu'à Djelfa, une majorité de jeunes gens s'adonne sans complexe et de façon magistrale à ce sport qu'est la fusion des goûts et des couleurs. En outre, être « nez » chez un parfumeur ne semble point décourager quiconque parmi ces pionniers régionaux des senteurs, tant aigres et poivrées, aromatiques et exotiques que légères et printanières ! Depuis un certain temps déjà, l'on voit pousser comme des champignons des boutiques de parfums de tout genre. Et que l'on ne s'y trompe pas, il ne s'agit pas seulement de boutiques effectuant de simples transactions commerciales comme celles qui ont pignon sur rue. Celles dont il est question font de la distribution et font également office de laboratoires. Elles ne sont nullement aménagées pour cela puisque les essais ont pour seul support des « travaux de chimie » un comptoir ordinaire. Les préparations sont concoctées sur place, selon la commande et quelle que soit la marque souhaitée par le client ou la cliente surtout ! On peut en avoir pour tous les goûts, même les plus raffinés. Cela va de Miracle so Magic, Hypnose (Lancôme), Amor Amor, Anaïs Anaïs, Noa (de Cacharel), Dune, J'adore, Poison (Christian Dior) à Opium, Cinéma, Paris et même Elle, la toute dernière création de Yves St Laurent, en passant par Nina, Love in Paris (Nina Ricci), etc. Les hommes ne sont pas en reste et autant que la gent féminine, ils ont l'embarras du choix entre Francisco Smalto, Givenchy, Hugo Boss, Azzaro et YSL… Eh oui, aussi surprenant que cela puisse paraître ! La question venue immédiatement à notre esprit qui porte sur le degré d'imitation de ces parfums n'a nullement désarçonné notre interlocuteur, en l'occurrence le préposé à la vente et faiseur de mixtures, en dépit de notre regard scrutateur. Et ne doutant guère qu'entre le parfum d'origine et le sien il n'y a aucune commune mesure (devinez !), ce dernier, ayant le sens de la répartie, nous apprend qu'il appartient à un groupe industriel étranger installé sur l'ensemble du territoire national : « Notre patron (originaire du Moyen-Orient) est fourni en extraits de parfums par toutes les grandes marques étrangères. Nous faisons donc toutes sortes de parfums à partir des trois éléments indispensables, à savoir l'extrait de parfum, un alcool spécifique fourni par le patron et le fixateur. Le reste relève des indications que nous recevons de la société et que nous gardons jalousement pour nous. Et enfin de notre flair, notamment pour les ajouts d'extraits de fleurs, zestes de fruits et encens, selon le goût du client. » Et pour parachever ce qu'avait dit Charles Baudelaire à propos des parfums : « … Et d'autres, corrompus, riches et triomphants, Ayant l'expansion des choses infinies, Comme l'ambre, le musc, le benjoin et l'encens, Qui chantent les transports de l'esprit et des sens... » Avant de « s'occidentaliser » en parallèle, ces parfumeurs qui pullulent déjà, commercialisaient timidement, à l'origine, des extrait de parfums (outour charqia) importés d'Extrême-Orient : Douaa ljana, Sultane l'outour, Oud Chikha qui sert à embaumer la Kaâba, Itr Moudhila dont le chanteur charqi Mohamed Abdou fait la réclame sur une chaîne de télévision arabe ainsi que bon nombre de variétés d'encens. Cela va du bâtonnet à l'extrait fort en liquide et en pâte, comme celui le plus cher au monde, Oud Koumboudi, que les Khalijine, les habitants du Golfe arabique, utilisent pour séduire les femmes ! « Il ne serait vain si ce parfum est intelligent », disait si bien Sully Prudhomme : un parfum pénétrant comme un aveu d'amour.