Traiter des questions aussi sensibles que celles liées à l'histoire, l'identité, l'école, les langues, de façon scientifique critique mais sans animosité ni indulgence, autour d'un intellectuel non consensuel comme Mostefa Lacheraf, c'est une prouesse que l'Association algérienne pour le développement de la recherche sociale (ADRESS) et la revue Naqd ont réussie. Quand on sait que ces questions déchirent classe politique, médias, intellectuels. Quand on considère également les différents versants de la personnalité de M. Lacheraf, dont les prises de position ont, à chaque fois, suscité de furieuses réactions. Après avoir mis en exergue l'apport de cet intellectuel dans l'écriture de l'histoire de l'Algérie, en axant ses travaux sur le rôle de la paysannerie, ses positions par rapport à l'identité nationale, à la qawmiya arabe, son engagement politique, son opposition à l'Islam politique, le troisième et dernier jour du colloque « Algérie 50 ans après : nation, société, culture » ne pouvait que clôturer sur la question de l'éducation, de l'école plus précisément. Gros dossier ! Les intervenants auront en tout eu le mérite de remonter aux origines des problèmes et des courants qui agitent aujourd'hui l'école algérienne, en apportant un éclairage sur ce qu'étaient la médersa, l'école thaâlibya et l'école normale française. Respectivement entre différenciation et acculturation, selon Aïssa Kadri. Le premier modèle était plus diversifié, structuré autour de maîtres du fiqh islamique, alors que le second n'était qu'un réceptacle et instrument de diffusion de l'idéologie coloniale. Selon le conférencier, les deux systèmes ont cependant « tourné à vide », en raison de leur incapacité de former, notamment des élites. Pour preuve : 80% des Algériens étaient analphabètes à l'indépendance du pays, alors que depuis cette date le système politique a fonctionné avec une vieille élite tirant sa légitimité de l'histoire. En dépit du fait de la mise en place, avant l'indépendance même, des bases d'un système moderne d'éducation. La leçon de Lacheraf, produit des deux systèmes, est qu'un enseignement solide doit puiser dans les sources réelles de la culture, liées à l'histoire du pays, a estimé un intervenant. L'opposition entre les deux systèmes s'illustre dans un échange de correspondances public entre Mostefa Lacheraf et Abdallah Cheriet, le thème d'une communication donnée par Ahmed Kerroumi. Celle-ci s'est intéressée aux référents et aux contours intellectuels et philosophiques des élites algériennes. « Lacheraf a voulu libérer les structures mentales de la culture conservatrice. Il estime que la solution réside dans le changement social à travers l'école, qui doit être un instrument servant à l'éclosion de nouvelles valeurs. Alors que Cheriet considère que l'identité nationale a été détruite par le système colonial, une destruction qui n'a toutefois pas touché son fond. D'où sa défense des valeurs », a expliqué M. Kerroumi. Avec la complexité de cet héritage, Mostefa Lacheraf tentera, en tant que ministre de l'Education nationale (1977), de mettre en place le système du bilinguisme, avant d'être « appelé à d'autres fonctions » après le décès du président Houari Boumediène. Même si de l'avis de certains chercheurs Mostefa Lacheraf n'a jamais été contre l'arabisation, mais contre la méthode avec laquelle elle allait être conduite. Les idées sur les questions identitaires, entre culture française et culture algérienne, entre mondialisation et nationalisme, ont pu s'exprimer de façon sereine. C'est rare ! « La question renvoie à un rapport entre groupes sociaux. Les valeurs ne sont pas identifiées », dira un intervenant. Et un autre de répliquer : « Ben Badis a défini les composantes de l'identité, à savoir lslam, arabité et amazighité. » Quant à l'harmonie, c'est une tout autre histoire.