On les rencontre souvent devant les marchés, dans les stations de transport collectif, ainsi que dans d'autres lieux publics, comme les restaurants, les cafés maures et, parfois, même dans les bistrots. Ce sont des bambins, des deux sexes, dont l'âge atteint à peine les 14 ans, qui travaillent péniblement pour quelques pièces. Pour déterminer les causes d'une telle situation, certains observateurs évoquent la précarité sociale des parents, alors que d'autres l'imputent à l'échec scolaire. Notre virée ayant eu lieu en ce mois sacré où les marchés sont les plus convoités, nous avons ciblé le marché couvert de la place du 17-Octobre, place “Rouge” dans le jargon local, dans la périphérie sud de la ville, où les décors renseignent sur le phénomène. Durant ce mois de Ramadhan, comme en temps normal, ces chérubins tiennent, en effet, des étalages de pains et galettes “maison”. Généralement mal à l'aise, certains nous dévoilent leur raison d'être en ces endroits et nous disent leur indigence. “Nous sommes dans l'obligation de nous rendre utiles à notre famille qui n'est pas du tout gâtée par la vie”, nous affirmera le petit Karim, âgé de 9 ans, qui est accompagné de Souad, son aînée de 3 ans. “Notre père en sa qualité de journalier n'arrive pas à joindre les deux bouts pour nourrir les 8 bouches que nous sommes, sans compter les frais scolaires, nous n'avons aucune autre alternative que de bosser à notre manière. Nous débarquons au marché dès les premières heures de la matinée pour écouler les galettes préparées par notre mère et notre grande sœur”, enchaînera-t-il. Ce dernier fera remarquer qu'il ne s'adonne, tout comme sa sœur, à cette tâche que durant les vacances scolaires. Bon gré mal gré, ces deux enfants se disent satisfaits de pouvoir contribuer aux dépenses familiales mais sans pour autant faire l'impasse sur l'école dans la mesure où l'école, en dépit de leur fragilité sociale, leur réussit et les merveilleuses notes acquises le confirment. pour Karim et Souad, comme pour bon nombre d'enfants, la période estivale tant attendue n'est pas délivrance, mais plutôt au moment d'améliorer la recette familiale en vendant “el kesra et lekhmir” préparés à la maison. À l'opposé de nos deux jeunes interlocuteurs, d'autres enfants sont contraints de quitter les bancs de l'école pour rejoindre prématurément le monde du travail. Sans pouvoir goûter paisiblement à leur enfance, ils triment à longueur de l'année pour se prendre en charge, mais surtout pour aider leurs familles. Abderahmane, appelé Abdou, a mis fin à sa scolarité trois ans seulement après avoir été en classe. Son père, victime de la liquidation des entreprises, ne pouvait plus assurer ses frais scolaires, ni encore ceux de ses quatre frères et sœurs plus âgés et qui ont fini par la même “solution”, à cause de l'instabilité sociale qu'il endure depuis plus d'une dizaine d'années. Abdou n'y est pas allé par quatre chemins pour nous répondre : “Il est conscient qu'il devait être encore à l'école avec ses camarades de classe qu'il a quittés sans pouvoir les oublier.” Mais, el mektoub a voulu qu'il soit dans ce milieu qu'il n'a nullement choisi. Croisé aux alentours du marché de Volani, ce dernier n'a pas hésité à nous relater ses désillusions. “En réalité, je sais bien que je devais être encore à l'école, mais c'est la situation misérable dans laquelle vivent mes parents qui m'a obligé à travailler et à sortir le matin pour ne revenir qu'à la tombée de la nuit à notre logis de fortune”, nous dévoilera-t-il. Vendant du pain traditionnel préparé par sa mère, il s'est résolu à ramasser quelques dinars pour sa famille. “Dommage que je me sens grandir avant terme en me privant de l'école au moment où mes semblables sont toujours en pleine scolarité”, fulmine-t-il, non sans dégager une certaine rancœur, dissimulée au plus profond de ses entrailles, envers la société.