La petite poupée voilée Fulla a réussi à évincer Barbie de la kyrielle de gadgets, cartables, blouses, trousse et étiquettes… Il devient de plus en plus rare de retrouver la petite blonde sexy à l'effigie des articles scolaires. Est-ce là une preuve que la société algérienne devient plus proche du modèle Fulla que de celui de Barbie ? Décryptage. Née en 2003 en Syrie et fabriquée en Chine, la petite Fulla a été vendue à au moins 4 millions d'exemplaires dans le monde arabe. Le succès de la poupée voilée était d'abord lié à la fermeture brutale du marché saoudien à Barbie. Mais le phénomène « Fulla » s'est rapidement propagé grâce à un excellent plan marketing. Les fabricants de Fulla ont fait en sorte à ce que les fillettes du Maghreb et du Moyen-Orient s'identifient davantage dans les traits de Fulla (yeux marrons, longs cheveux d'ébène) que dans ceux de la blonde aux yeux bleus. Comme dans les rues algériennes, Fulla porte, le plus souvent, un hidjab « soft ». Les concepteurs ont calqué la tenue vestimentaire – islamiquement correcte, s'entend – sur celle du pays dans lequel elle sera vendue. Ainsi, la Fulla de la péninsule arabe porte une austère « abaya » noire, mais en Algérie, au Liban et en Egypte, elle affectionne les couleurs branchées. Les fabricants ont également tenu à gratifier Fulla d'une certaine morale. Pendant que Barbie aime à s'amuser avec son ami Ken, la petite Fulla travaille pour devenir « médecin » ou « enseignante ». A en croire Fawaz Abidin, responsable de marque pour NewBoy Design Studio en Syrie, créateur de « Fulla », cité par le New York Times, « il ne s'agit pas juste de mettre un hidjab sur une poupée Barbie. Il faut créer un personnage auquel parents et enfants peuvent s'identifier. Fulla est honnête, douce, attentionnée et elle respecte son père et sa mère ». Le plan marketing de l'entreprise syrienne a ainsi réussi à mettre en danger Barbie sur le marché algérien. Dans le marché de Belcourt, même les femmes non voilées achètent des cartables Fulla à leurs filles. Mais pour ce qui est des poupées, dit-on, la Barbie reste indétrônable. La poupée Fulla s'adresse surtout à la frange religieuse de la société. On peut acheter des taille-crayon, des trousses ou des étiquettes à l'image de Fulla, mais quand on veut une poupée, on cherche généralement une Barbie, nous dit un vendeur de jouets près de Belcourt. Le succès de Fulla est symptomatique d'un état d'esprit. Il intervient au moment où le nombre de jeunes filles qui mettent le foulard explose. Lancée au début de la guerre d'Irak, les sociétés arabes avaient besoin d'images rassurantes. Les commentateurs arabes louent cette poupée qui « nous » ressemble, qui véhicule des valeurs qui sont les « nôtres » et qui – surtout – tranche avec cette « américaine » de Barbie. La réussite de Fulla est avant tout, politique. Pour s'en convaincre, il suffit de lire les titres triomphants de la presse arabe : Fulla l'emporte sur Barbie, Fulla détrône Barbie et Fulla fait un tabac... Ce serait, d'après eux, la victoire de la fille du « bled » sur « l'icône importée ». Barbie, qui doit bientôt fêter ses 50 printemps, s'en retrouve un peu déboussolée.