La situation a empiré depuis 24 heures dans l'extrême nord-est du pays. Les incendies de forêt se sont multipliés et ont pris de l'ampleur. Il y a d'immenses feux dont le front s'est étalé sur des kilomètres, à la faveur du sirocco qui souffle depuis hier matin. De Beni Salah au sud de Annaba, au djebel Bou Abed, au sud de l'aéroport, au djebel Koursi à l'ouest du lac Mellah et dans celui de Hadoura (Bougous, Tarf) de gigantesques colonnes de fumée bleuâtre montent au ciel et deviennent opaques. Au-dessus des plaines de Annaba, de Bouteldja et d'El Tarf, le ciel est sombre et la lumière qui perce est orangée, irréelle. L'air est irrespirable et suffocant et il doit certainement y avoir des victimes. « On dirait un hiver nucléaire », lâche un collègue. Des hauteurs qui dominent la région jusqu'au fond de la dépression du lac Feztara vers Berrahal, des reliefs de Guelma et Souk Ahras, on a pu dénombrer quelque 80 incendies visibles dont la moitié est majeure. Il y en a partout là où subsiste encore un lambeau de végétation dans cette région autrefois fortement boisée. On a pu voir des flammes de plus de 20 m happer des eucalyptus en un clin d'œil. Des pylônes électriques de la ligne très haute tension (Bectel) qui traverse la wilaya d'El Tarf n'ont pas échappé aux flammes malgré la tranchée pare-feu qui les protège. Même les forêts humides, comme celles qui longent les cours d'eau, n'ont pas été épargnées par le feu dévastateur. Le spectacle est apocalyptique. La route El Kala-aéroport est coupée à la circulation. Dans les villages et les mechtas, le long des routes, les gens scrutent le ciel orangé à la recherche d'un signe d'apaisement et de rafraîchissement. Le vent qui tourne c'est le salut. Une fraîche et humide brise de mer pour contrer l'ardente brise de terre qui enflamme le ciel et la terre. Il est le seul à ralentir et stopper ce désastre survenu en plein Ramadhan. Contrevenant aux obligations du jeûne, les gens maudissent ouvertement les bergers et les éleveurs. Pour tous, il ne fait aucun doute « c'est eux ! Y a pas d'armée dans le coin et encore moins de terroristes, ils savent avec la météo que les pluies sont pour bientôt, alors ils mettent les bouchées doubles avec les grosses chaleurs. Ils brûlent le pays pour s'en mettre plein les poches ». Pour le Pr Benyacoub, enseignant-chercheur en écologie à Annaba, qui observe la situation depuis plusieurs jours : « Ce qui se passe est une véritable catastrophe naturelle, car le feu est ce qu'il y a de pire pour la nature. Tout ce qui ne peut pas se déplacer ou qui se déplace lentement est voué à la disparition. Rien ne survit. » Dans le parc national, il y a 4 grands incendies. La réserve de Braptia, où vivent des cerfs en captivité, a été sauvée par les pompiers et les forestiers. Tous les effectifs de ces services sont engagés corps et âme dans la lutte contre le feu. Partout les forestiers et les pompiers tentent de stopper les flammes qui avalent la végétation asséchée par une longue période de sécheresse. Les moyens disponibles sont dérisoires face à l'ampleur de la catastrophe. Même les avions, les fameux canadairs, auraient des difficultés à opérer dans une telle situation. Trop de feux et trop de vent. Au PC des forestiers, on nous indique que la priorité est de protéger les personnes et les biens. On vient de sauver in extremis Medjoudja sur les hauteurs et on fait tout pour contrer les feux qui approchent du chef-lieu de la wilaya. A l'heure où nous mettons sous presse, le plan Orsec n'est pas déclenché, mais le wali vient d'ordonner la réquisition d'un supplément d'engins gros gabarit. Ceux qui sont assez vieux pour s'en souvenir comparent la situation à celles de 1983 et 1990 où 13 000 ha sur 150 000 avait été touchés par le feu à El Tarf.