Aux alentours de 19h, la ville de Bouira est complètement déserte. Une ville morte, dès lors que l'ensemble des jeûneurs sont rentrés chez eux pour attendre l'appel à… la bouffe... ah ! Plutôt la prière, lancé par le muezzin annonçant la fin d'une journée de jeûne. En sillonnant les ruelles et les quartiers de la ville à quelques minutes de cet appel, il semblait qu'aucun n'osait mettre le nez dehors. Les gens se font rares, mis à part les retardataires dont la démarche démontre bien un certain empressement. Dans les ruelles sombres de la ville, un silence presque religieux semble bien s'emparer des lieux. C'est l'appel à la prière du maghreb. Du côté de la mosquée Ben Badis, au centre-ville, des fidèles « pressés » accourent et l'esplanade ne donne pas l'allure d'être achalandée outre mesure, comme c'est le cas durant les « taraouih » (prières d'après l'aïcha). Ailleurs, notamment dans les restaurants, où les passagers, comme ça a été notre cas en cette journée, l'ambiance est bon enfant. La fameuse chorba, l'inconditionnelle, vient sans être annoncée et le serveur, visiblement « coincé », s'empresse à réciter une liste incommensurable de mets faits pour la circonstance. Tout sent l' « odeur du Ramadhan »… Ainsi, à la fin de notre repas, une nouvelle tournée s'impose après -bien sûr- l'inconditionnelle pose-café et la cigarette attendue pratiquement depuis le matin. Dans les rues, nous avons pu constater une ambiance plutôt vivace comparativement à celle y ayant régné durant toute la journée. Les magasins d'alimentation générale, comme les cafétérias, sont bondés de gens. La vie revient ainsi petit à petit à la normale. Il est 20h, les cafés débordent déjà. La peur est évacuée, et les badauds ne semblent plus broncher. La menace terroriste qui, par ailleurs, se fait persistante depuis au moins le dernier attentat-suicide ayant ciblé le centre-ville de Bouira, semble désormais reléguée aux oubliettes. Effectivement, la ville de Bouira a renoué incommensurablement avec son ambiance d'antan. Les soirées ramadhanesques donnent plutôt plus de punch qu'elles n'inspirent de la frayeur. Parmi les personnes que nous avons interrogées, certaines sont venues des localités limitrophes du chef-lieu de la wilaya, bravant tous les risques pour rallier la ville. Les Bouiris veulent résolument oublier le malheur ayant ciblé leur ville. D'ailleurs, personne n'a voulu évoquer ce drame, à l'image de ce jeune vendeur de cacahuètes qui nous dira « oublions le passé et vivons le présent. Nous, nous n'avons pas beaucoup de chance dans la vie, c'est pour ça que nous profitons de ces moments de joie que procurent les soirées du Ramadhan ». Le même avis est pratiquement partagé par l'ensemble des jeunes interrogés, eux qui veulent tourner le dos à la terreur ambiante. Ainsi donc, juste après la rupture du jeûne, les Bouiris se précipitent vers les cafétérias et les salons de thé. Autour d'une table à laquelle nous étions conviés, des jeunes sirotent du thé à la menthe et abordent différents sujets ; la discution s'anime. « On n'oubliera pas ce qui s'est passé, (allusion faite aux actes terroristes. Ndlr), mais la vie continue », dira l'un d'entre ces jeunes. Son compagnon, visiblement d'un autre avis lui réplique « j'aime bien sortir avec ma famille et faire un petit tour en ville, histoire de digérer et de me dégourdir les jambes ; mais il y a un grand risque à courir suite aux derniers attentats ». D'autres, notamment des jeunes rencontrés au niveau du square de la ville, à proximité de la salle Erich lancent « l'heure est à la fête. On vient ici (Erich est l'unique salle de spectacle de la ville de Bouira), chercher l'animation artistique ». Halim nous dira à ce propos, « l'année écoulée c'était formidable, chaque soir il y avait un gala artistique ; mais pour cette année, nous n'avons aucune idée de ce qui se prépare ». C'est dire combien le déficit de communication est lourdement ressenti au niveau de cette ville où, pourtant, un programme d'animation culturelle est bel et bien concocté à l'occasion. Les Bouiris habitués aux galas artistiques souvent organisés au niveau de cette salle (Erich), que ce soit par le mouvement associatif ou la direction de la culture, épient tout mouvement de ce côté en l'absence d'une communication efficace. Pourtant, la direction de la culture a élaboré, un programme riche et varié. Selon M. Raghal, directeur de la culture, « nous avons opté pour une variation des programmes surfant sur plusieurs volets artistiques à l'instar de la chanson et du théâtre ». Notre interlocuteur nous informera qu'en plus des chanteurs locaux qui vont animer -à tour de rôle- ces soirées artistiques ; d'autres artistes de renommée vont y prendre part. C'est dans ce cadre qu'il est annoncé, pour au moins deux soirées, la présence de Lounis Aït Menguellet, Akli Yahiaten et Chérif Hamani. Ce à quoi s'ajoute, selon notre interlocuteur, l'animation d'un gala -et c'est pour la première fois à Bouira- du rossignol de la chanson chaâbi Abdelkader Chaou. Cependant, faut-il remarquer que beaucoup de citoyens souhaitent assister à des galas en plein air, mais pour des raisons de sécurité, l'option n'a visiblement pas eu l'aval des responsables compétents ayant choisi la salle Erich. Enfin, la vie semble bien reprendre ses droits à Bouira, et le Ramadhan n'est plus le mois des inquiétudes comme cela était le cas durant les années de terrorisme. Une page est indéniablement tournée si on se fie aux comportements des Bouiris en cette halte ramadhanesque.