Plongée dans un profond silence en cette soirée pluvieuse de Ramadhan, Alger ressemble à une ville morte. Juste le temps de se munir de quelques dattes, nous partons faire un tour dans les rues d'Alger, vides. Quand tout le monde est chez soi à siroter sa chaude chorba, Alger est une capitale sans âme. Les gens s'agitent, se pressent et courent dans tous les sens. Du haut des minarets, les muezzins appellent à la rupture du jeûne et à la prière du Maghreb. Quelques fidèles s'empressent vers la mosquée. En un clin d'oeil, les rues se vident. Les rideaux sont baissés et le brouhaha de la ville s'éteint comme par magie. La pluie s'égrène et nous sommes obligés de nous mettre à l'abri. Sous ce ciel pluvieux du vendredi soir, la ville plonge dans une solitude sans précédent. Les rues Didouche Mourad, Hassiba Ben Bouali, la place Audin... qui, d'habitude, ne désemplissent pas, à ce moment-là, sont un désert total. Nul ne croira qu'Alger devienne en un temps record une ville fantôme. Au bout de la rue, une patrouille de police examine les lieux, puis regagne une autre ruelle. Sous la lumière tamisée des lampadaires, un silence épais a gagné toutes les allées et ruelles mouillées. De toutes les maisons, on n'entendait plus que le bruit des assiettes, le cliquetis des cuillères. De temps à autre, le bruit des ustensiles est ponctué par des cris d'enfants qui réclament plus de hrira et de bourek. Et la mère, du haut de son autorité familiale, rappelle à l'ordre: «Patientez un peu! Commençons d'abord par les jeûneurs.» Une vraie kermesse que vivent intimement les familles algéroises en ce mois sacré. Cependant, dehors le calme s'installe. Le visiteur non averti serait angoissé par ce calme, qui vient de s'installer subitement. Tout commence vers 18h, cinquante minutes avant El Adhan. La plupart des commerces ont baissé rideau, excepté ceux de quelques magasins et boutiques qui attendent leur habituelle clientèle. Les gens commencent à rentrer chez eux. Quelques rares retardataires, hommes et femmes, s'empressent de faire les dernières emplettes. Il y a une sensation d'urgence qui se dégage chez les gens. Alger, en ces instants précédant le f'tour, donne l'impression d'être une ville mise à sac. Tout le monde préfère rentrer tôt, le pas pressé, certainement sous l'effet du Ramadhan. Une scène burlesque d'hommes en course contre la montre afin d'être au rendez-vous ramadhanesque avec la famille autour d'une table, pour en finir avec la faim. Un moment pour se régénérer. Nous sommes toujours dehors. Alger fait grise mine à cet instant. Toutes les voitures qui assourdissaient les gens, et tous ces hommes qui se bousculaient en une cohue indescriptible se sont volatilisés, du moins pour un temps. C'est le seul et unique mois de l'année où une ville peuplée et dense comme Alger, se calme. De bout en bout, même sur les hauteurs tels Ben Aknoun, El Biar...tous connaissent le même sort et le même rythme à cette heure-là. Des quartiers entiers sont livrés à eux-mêmes. Au bout d'un moment, des hommes qui reviennent de la prière, en petits groupes envahissent les rues. Ils devraient à leur tour rentrer chez eux. Le temps de leur passage, les ruelles retrouvant l'ambiance d'avant quelques dizaines de minutes. Mais, de nouveau la capitale tombe dans une profonde léthargie. Toutefois, les premières personnes à avoir terminé rapidement leur repas, sortent pour griller la première cigarette de la journée. Au quartier Meissonier, des restaurants s'ouvrent pour accueillir des personnes, dont la plupart, venues d'autres wilayas, travaillant à Alger, ont été contraintes d'y passer la nuit. Tout le monde découvre le nouveau visage de la capitale, abandonnée par ses habitants pendant les vingt minutes qui suivent le f'tour. Me déplaçant d'un trottoir à l'autre, d'une ruelle à l'autre, loin des hommes et des voitures, Alger s'offre à moi dans toute sa beauté. Le moment semble être éternel à Alger. Devant des restaurants, des hommes attendent leur tour pour rompre le jeûne. Nous poursuivons notre chemin afin de voir de l'autre côté de la ville, d'autres coins isolés. A travers la pluie qui tombe doucement sur les trottoirs, on aperçoit quelques sachets d'ordures attendant le passage des éboueurs. Les premières voitures regagnent l'arène urbaine. Presque vingt minutes passées depuis El Adhan, des hommes, des femmes et des enfants, commencent à quitter leurs foyers. Chacun sa destination, qui se dirigeant à la cafétéria du coin le temps de siroter un café ou un thé avec des amis, qui, prenant le chemin de la mosquée alors que d'autres choisissent de se rendre chez la famille. C'est ainsi qu'est rythmée la vie durant ce mois de jeûne. Le pas involontairement pressé, au milieu des rues qui renaissent de leur brève mort, et qui se retrouvent pleines de monde, ils sont là pour redécouvrir les pavés abandonnés quelques minutes. Juste au moment où nous entamons la deuxième étape du f'tour, le ronronnement des moteurs et les klaxons atteignent nos oreilles, et viennent perturber la symphonie du silence que vivait Alger, il y a quelques minutes seulement.