Quand, dans son fameux sketch, le frêle Djaffar Beck affrontait un féroce bureaucrate et lui sortait même ses tickets de bus de la RSTA pour remplir un dossier, il avait bien du courage en ces années de plomb à dresser un portrait désopilant mais implacable de l'Administration. Quand Hassen El Hassani, notre brave Boubegra, paysan des hauts plateaux, soulignait avec un talent fou les errances de l'exode rural, il nous donnait à penser une réalité alors précise. De même, l'inénarrable Kaci Tizi Ouzou avec sa gouaille et sa rigueur montagnardes. Tous campaient des personnages que l'on pouvait rencontrer dans la rue en ces années 60 et 70. Ils nous faisaient rire en nous prouvant que l'humour, sublime délassement, est aussi un formidable moyen de réflexion et de critique des êtres et de la société. On pourrait en dire autant de Rouiched, Moh Bab El Oued et autres, qui, bon an mal an, étaient des baromètres du jeu social, comme Ksentini et Touri furent ceux de la colonisation. Et autant de Chaplin ou de tous les comiques du monde, passés, présents et à venir. Car le rire ne peut fonctionner sans la vraisemblance. Il naît de la déconstruction amusante de situations bien réelles. Que dire alors de L'immeuble de Hadj Lakhdar, notre Yacoubian ramadanesque qui a tiré sa révérence avant-hier avec une certaine humilité ? Une idée géniale au départ qui aurait pu, à partir du microcosme d'un voisinage, devenir une formidable machine à mieux nous comprendre. Le talent indéniable de son acteur, Lakhdar Boukhers, était là aussi pour assurer une telle démarche. Mais qu'obtient-on au final ? Un personnage et ses satellites qui sont de floues caricatures et des « ovnisuels » sociologiques. Et surtout un discours ambigu qui débouche souvent sur son contraire. Exemples. H.L. va récupérer ses enfants harraga dans un camp de carabiniers espagnols ? Une belle situation comique, finalement gâchée par le retour volontaire et démagogique de tous les autres internés ! H.L. dénonce le charlatanisme ? Excellent, s'il ne rendait pas efficace les sortilèges ! H.L. s'en prend à la corruption ? Mais il la pratique et évite d'évoquer l'origine de ses biens. Sans compter les relents de misogynie et de mépris des jeunes. Et pas de personnage positif à l'horizon, hormis le Génie, et bien sûr Hadj Lakhdar, riche propriétaire qui se plaint de la vie chère et prend les postures et arguments du discours populiste. L'acteur a fait rire mais les scénarios étaient à pleurer. A quoi donc a tenu ce succès de la série ? A trois choses peut-être : elle évoquait des problèmes réels (en les déformant), on y parlait algérien, on y riait. Trois choses dont nous sommes privés généralement. Ainsi, sevrés de vérités, de notre parler et de joie, nous sommes les otages, non pas de Hadj Lakhdar, mais de la télévision qui, le Ramadhan venu, nous fait l'aumône d'un peu de nous-même.