Ses cheveux sont sales, longs et emmêlés. Habillée d'une vieille djellaba maculée, Kheïra est courbée sur ses deux enfants, à même le trottoir, au coin d'une venelle de la grouillante rue Larbi Ben M'hidi. A sa droite, sa compagne de toujours, une demeurée, est allongée la tête enfoncée dans un carton. Kheïra ne se souvient plus de son âge, tout ce qu'elle sait, c'est qu'elle a dû quitter, à la mort de son mari, leur logement, il y a quatre ans, « à cause du propriétaire ». Elle s'agite, elle crie. « C'est la faute aux responsables et à la houkouma ». La vadrouille et l'errance sont le désespoir de Kheira et de ses enfants qu'elle traîne dans les entrailles d'Oran. Les quartiers et les trottoirs sont de plus en plus envahis par les sans domicile fixe. Dès la tombée de la nuit, Oran est une ville où conquérir air, lumière, espace, parking, trottoir, est un âpre combat quotidien. Sales, affamés, hagards. Le centre-ville d'Oran est devenu le zoo de la misère humaine. « Nous avons mangé hier (premier jour de Ramadhan, ndlr), aujourd'hui j'ai profité pour laver nos affaires dans les toilettes de la petite mosquée de la rue Lamartine. Il faut arriver à manger, dormir, s'accrocher à la vie, c'est tout », dit-elle. A Oran, seconde ville d'Algérie, le phénomène prend des allures de catastrophe. La ville compte un nombre impressionnant de sans-logis. La nature même du problème a changé, car il ne s'agit plus exclusivement de paumés, d'alcooliques ou de drogués. Aux malades mentaux libérés des établissements psychiatriques, se sont ajoutés, au début de la décennie, des femmes et des hommes illettrés et inemployables. Puis, à partir de l'année 2000, des mères célibataires. Enfin, des familles entières. La ville et les rares associations caritatives ne sont pourtant pas inactives. Mais le vrai problème est celui de la réinsertion. Faute de programmes de formation et d'emploi, de soins ou encore de logements sociaux censés être des lieux de vie pour les sans-logis ou les « sans domicile fixe », la prolifération de ces malheureux ira encore crescendo et avec elle, son lot de violence. Certains endroits sont de véritables repaires de malfrats qui viennent se mélanger aux sans abris. « Des coupeurs de gorge. On ne sait jamais qui est son voisin de trottoir. C'est moins sûr qu'ici. Regardez… » Kouider, 45 ans, exhibe une cicatrice à son poignet droit. Maigre, suant, il vit sur le trottoir, du côté de la grande Cathédrale, sur un bout de matelas crasseux. Ces images douloureuses constituent la plaie de toutes les grandes villes algériennes qui paient actuellement l'addition de la crise multidimensionnelle. Entre 2000 et 2006, les fonds pour la construction de logements sociaux ont diminué de 40% tandis que les programmes sociaux étaient rognés de moitié. A Oran, les inégalités sociales se sont fortement accrues ici plus qu'ailleurs. Des milliers de gens sont en dessous du seuil de pauvreté et leur niveau de vie ne cesse de baisser. En attendant, et en l'absence de programmes de relogement adéquat, l'occupation accélérée des trottoirs d'Oran continuera par « accueillir » des vagues toujours croissantes de sans-logis jetés à la rue.