Oued Kniss grouille de gens en cette journée d'hiver. Enfoncé dans un quartier populaire de la commune de Belouizdad, à Alger, le marché de l'or continue à pousser dans ce coin abandonné d'une capitale « bazardée », tout en restant bien achalandé. Le marché est un long trottoir qui a perdu depuis des années sa vocation. Ce trottoir ne « sert » plus aujourd'hui les passants. Dans cet espace non aménagé - comme c'est le cas de tous les marchés informels qui pullulent partout dans le pays -, rien ne brille à première vue. La marchandise est souvent dissimulée dans des sachets ou sacs. Et on n'y montre, par peur peut-être, qu'un échantillon exhibé à même d'accrocher des probables chalands. Des poignées de personnes entassées ici et là semblent négocier quelque chose : parure, chaîne, gourmette, bracelet, bague, alliance... « Si vous voulez acheter, on vous fera un prix spécial », nous apostrophe un revendeur, une gourmette entre les doigts agités. « Tenez, regardez, ne vous gênez pas, c'est du vrai... », lâche un autre de l'autre côté. Des vieilles femmes en hidjab, des jeunes, femmes et hommes, des revendeurs en même temps acheteurs occupent tout le long du trottoir, obligeant les riverains de marcher à même le bitume. Ici, on peut vendre aussi des bijoux cassés ou autres objets de valeur. D'ailleurs, dès que nous avons mis le premier pas dans ce « souk », des voix nous interpellent de partout : « Vous avez quelque chose à vendre ? » Des bijoux dorés prenant des formes multiples, truffés de pierres multicolores, sont cédés à des prix imbattables. Des bagues de trois grammes sont vendues à 2800 DA, d'autres un peu plus, entre 4000 et 6000 DA. Mais il y a toujours « moussaâda », un arrangement, comme on dit dans le jargon « informel ». « C'est le poids qui fixe le prix », nous explique une vieille femme, mains « broyées » de bracelets. Doigts, bras et cous couverts de bijoux, une sacoche servant de coffre-fort, Na El Hadja, une sexagénaire qui refuse de divulguer son nom, nous invite à « visiter » sa « bijouterie ambulante » qu'elle porte sur elle-même. « Celle-ci vient d'Italie », indique-t-elle, retirant de sa sacoche une jolie bague proposée à 13 000 DA. « Elle est chère parce qu'elle a le poinçon, une preuve d'authenticité », justifie-t-elle. Le gros de la marchandise parvient dans cet espace dit des « affaires en or » à travers des circuits informels. Les revendeurs ne disent rien, sinon peu de chose sur leurs fournisseurs. Ils ont peur d'être dénoncés, nous avoue une jeune fille portant des bijoux jusqu'aux... dents. Les produits fabriqués localement trônent dans ce marché, suivis de ceux ramenés de Turquie, d'Italie, de Syrie, de Libye et de France. Il est cependant rare de trouver un bijou poinçonné. Et lorsqu'on le trouve, il est hors de portée. Mais les bons chalands font de bonnes affaires. Il suffit de quelques minutes de négociation pour convaincre la revendeuse de revoir à la baisse le prix proposé. Parfois, le prix d'un gramme avoisine les 1000 DA, alors qu'un gramme d'or contrôlé frôle les 2200 DA. Ici, il y en a de toutes les couleurs : le plus prisé, l'or jaune. Suit l'or blanc. La forme de certains bijoux est frappante, surtout quand les deux couleurs se noient dans le rouge, formant un patchwork beau à admirer. Les prix d'un gramme oscillent entre 900 DA et 1300 DA. C'est de l'or non contrôlé ou cassé. Aux alentours de ce marché, une succursale de la Banque de développement locale (BDL) est ouverte. Ici, on peut gager des bijoux, la quantité qu'on veut. La BDL s'est engagée depuis longtemps dans cette activité très juteuse, nous informe une personne rencontrée sur les lieux. Sans passer par le célèbre marché de la Casbah, nous faisons une virée au petit marché d'Alger-Centre. Celui-ci s'est constitué autour du siège de l'APC, à deux pas d'une autre succursale de la BDL. Trois femmes sont assises à côté de l'entrée de la succursale guettant de probables chalands. Au premier regard, l'une d'entre elles nous accoste : « J'ai des choses qui peuvent vous intéresser. » D'un geste, elle retire un tas de bijoux. Un mélange de tout. Selon cette quinquagénaire, la marchandise provient essentiellement de Batna et de Constantine. Elle n'est pas toujours de bonne qualité, mais moins coûteuse. « Nous revendons ici seulement les produits faits localement », note-t-elle, le sourire à la bouche. Pas loin de cette place de « fortune », une bijouterie donnant sur la rue Larbi Ben M'hidi scintille. Son propriétaire accepte de nous parler. « L'Etat nous a ruinés et l'informel nous a tués », clame-t-il, l'air déçu. Selon lui, les prix pratiqués par les revendeurs des trottoirs sont très concurrentiels. « La marchandise qui provient de l'étranger est de loin moins chère que celle conçue localement. Beaucoup de fabricants ont abandonné leur activité. L'Etat ne les aide pas », atteste-t-il.