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Ammar Qurabi (Président de l'Organisation arabe des droits humains en Syrie) : « Les tribunaux d'exception existent toujours »
Publié dans El Watan le 25 - 09 - 2008

Ammar Qurabi est un fervent défenseur des droits humains en Syrie. A la tête d'une organisation non agréée, M. Qurabi subit les foudres du régime baasiste comme tous les militants des droits de l'homme et politiques.
Quelle est la situation des droits de l'homme en Syrie ?
La Syrie est loin des normes internationales en matière des droits l'homme. Les conventions internationales relatives au respect des droits humains ne sont pas respectées. Cela même si la Syrie les a toutes signées. L'Etat syrien refuse toujours d'agréer les organisations de défense des droits de l'homme. Il interdit toute activité aux partis d'opposition qui ne sont pas reconnus et empêche toute initiative allant dans le sens du changement. Il n'y a pas de presse indépendante. La société est muselée et terrorisée. Elle ne dispose presque d'aucun moyen pour s'exprimer librement. Ceux, par malheur, qui tentent d'activer ou de critiquer le régime subissent vite les foudres des renseignements militaires. Ils se retrouvent traqués comme des malfrats, arrêtés, maltraités, poursuivis en justice et condamnés à de lourdes peines de prison. La force du régime est dans ses instruments de répression qu'il n'hésite pas à actionner au moindre mouvement suspect. Le pays est sous état d'urgence depuis 1963. Le pouvoir profite de cette situation qu'il maintient au nom de la menace permanente étrangère pour commettre tous les dépassements possibles et imaginables. Les militants des droits de l'homme ou les opposants au régime, arrêtés arbitrairement par les services de sécurité – chargés de veiller sur la pérennité de l'Etat autoritaire –, sont systématiquement déférés aux tribunaux spéciaux et d'exception qui ne désemplissent pas.
Combien de personnes croupissent en prison pour délit d'opinion ?
On n'a pas de statistiques exactes. Mais nous estimons qu'il y a environ 1500 personnes qui auraient été arrêtées pour des motifs politiques. Certaines étaient considérées comme des prisonniers d'opinion. Des centaines d'autres, arrêtées ces dernières années, ont été maintenues en détention. Leurs procès ont été inéquitables. Toute personne participant ou essayant de participer à une initiative qui ne vient pas d'en haut, du régime, est automatiquement accusée soit de vouloir modifier la structure économique ou sociale de l'Etat, soit d'affaiblir le sentiment nationaliste ou encore de conspiration ou communication avec un pays étranger en vue d'attaquer la Syrie. Il y a eu également des personnes qui ont été condamnées pour soi-disant appartenance à une société secrète ou incitation aux luttes de factions. Des chefs d'inculpation qui ne sont que le fruit de l'imagination des auteurs des arrestations.
Que deviennent « le Printemps de Damas » et « la Déclaration de Damas » ?
L'arrivée de Bashar Al Assad au pouvoir en 2000, succédant à son père décédé le 10 juin de la même année, a suscité un vent de changement, une lueur d'espoir que la Syrie va enfin entamer sa marche vers la démocratisation. Plusieurs initiatives tel que « le Printemps de Damas » ou « la Déclaration de Damas pour le changement national democratique » ont vu le jour. Seulement, par ses méthodes répressives, le régime a réussi à faire échouer toutes les initiatives. Mais l'opposition syrienne continue toujours d'activer en se montrant plus engagée et plus courageuse que par le passé. Ceux qui activaient auparavant dans la clandestinité par peur de se retrouver en prison s'affichent maintenant publiquement, narguant les autorités. La société syrienne a pris conscience de la nécessité du changement, même si les gens ont toujours peur de s'engager dans ce combat politique. Il y a aussi le discours des partis (non agréés) de l'opposition qui reste superficiel. Pour capter l'intérêt des populations, il faut traiter aussi de leurs préoccupations quotidiennes. Certains partis développent des idées que ne comprend pas le peuple. Il faut donc raviver la société civile pour qu'il y ait plus d'implication dans le champ politique.
Pourquoi l'opposition syrienne évolue-t-elle en rangs dispersés ? Cela ne la fragilise-t-elle pas davantage ?
L'opposition représente différents courants politiques et idéologiques syriens. Il y a des gens de gauche, comme de droite, des libéraux, des laïcs, des islamistes. Cela ne fait que refléter la diversité de la société syrienne. Et ce n'est nullement un facteur d'émiettement ou de fragilisation. L'opposition est encore faible, sans force, parce que les gens ont peur de ce système répressif qui sévit à huis clos depuis une quarantaine d'années. En plus, l'opposition n'est pas reconnue. Elle n'a ni locaux, ni journaux, ni même autorisation d'activer. Elle est illégale vis-à-vis de la loi. Elle ne peut du coup s'exprimer sur aucune tribune dans le pays. Sauf sur des forums internet, et encore. Même ceux-ci sont parfois ciblés par les services. L'opposition est installée dans un cycle infernal interminable dans lequel il est difficile de s'en sortir.
Des opposants activent à l'étranger. Ont-ils un lien avec ceux de l'intérieur ?
L'opposition à l'intérieur milite pour la démocratie, les libertés, pour le développement et le bien-être des Syriens. Les opposants à l'étranger défendent les thèses occidentales et souvent anti-syriennes. Certains d'entre eux sont allés jusqu'à demander un changement militaire. Cette opposition n'a aucune de base en Syrie. La vraie opposition se trouve réprimée et brimée à l'intérieur par le pouvoir autoritaire. Et nombre de ceux qui se réclament de l'opposition à l'étranger – à l'image de l'ancien Premier ministre Abdel Halim Khaddam qui était président de la République par intérim du 10 juin au 17 juillet 2000 – étaient des années durant des piliers de ce pouvoir despotique. Ils ne peuvent donc être aimés aujourd'hui par les Syriens ni espérer aujourd'hui avoir de l'ancrage au sein de cette société martyrisée.
Certains observateurs disent qu'à l'état actuel des choses, le seul changement possible est celui qui viendrait de l'intérieur du système. Qu'en pensez-vous ?
Il y a effectivement des intellectuels, des hommes cultivés au sein du parti Baas qui veulent le changement, qui veulent ouvrir le champ politique. D'ailleurs, lors du dernier congrès de ce parti-Etat, tenu en 2005, des propositions de réforme ont été faites, dont une nouvelle loi sur les partis. Certains congressistes ont demandé la levée de l'état d'urgence. Ces propositions n'ont certes pas été retenues par le parti. Mais cela prouve qu'il y a au sein du pouvoir des forces qui aspirent au changement. Il reste de savoir quel est leur nombre et quelle est leur marge de manœuvre. A mon avis, ils ne pourraient pas faire grand-chose. Cela parce qu'il y a plus de gens au sein des appareils de l'Etat qui œuvrent pour préserver leurs intérêts. Ceux qui tirent profit de la situation actuelle ne sont pas prêts à céder si facilement leur place et par ricochet leurs privilèges. Il est donc difficile que le changement vienne de l'intérieur du système. Il y a même ceux qui se demandent s'il ne faut pas songer à importer un modèle et mener des réformes à l'égyptienne, à la malaisienne ou encore à la chinoise. Moi, je me dis : pourquoi ne pas créer un modèle propre à la Syrie qui émanerait du génie syrien ?


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