Ce discours, qui est entré de ce point de vue dans l'histoire, fut un concentré de tous les maux et carences charriés par le pays dans son entreprise de développement contrariée par des déviations et comportements anti-économiques et anti-sociaux tapis au sein même de l'appareil de l'Etat et du parti unique, le FLN qui ne faisaient qu'un seul et même corps. Ce discours aurait pu être un discours ordinaire, comme le président Chadli avait l'habitude d'en prononcer en différentes occasions s'il n'y avait pas en point de mire un enjeu politique stratégique illustré par la préparation du 6e congrès du FLN qui devait trancher et entériner les chantiers des réformes économiques et on le saura par la suite, politiques, sous la forme d'une ouverture du système à un pluralisme politique spécifique qui consistait à admettre au sein du parti FLN l'existence des sensibilités politiques. Des réformes qui, le moins que l'on puise dire, ne faisaient pas l'unanimité au sein de l'appareil du parti. Le discours de Chadli doit être donc resitué dans ce contexte de lutte au sommet du parti-Etat autour d'enjeux stratégiques, politiques, économiques, idéologiques avec tout ce que cela implique comme conséquences sur le repositionnement des clans qui s'affrontaient à fleurets mouchetés au sein du parti et des institutions de l'Etat. En filigrane, les craintes de perdre des privilèges acquis commençaient déjà à apparaître au niveau de la clientèle du pouvoir. Discours d'un Président qui en avait trop sur le cœur et qui se sentait trahi par sa cour qui n'arrivait pas, pensait-il, à s'adapter aux nouvelles réalités du pays par incompétence ou manque de conviction dans le train de réformes engagées ? Ou discours-programme d'un chef d'Etat qui voulait montrer à travers la fermeté, voire la dureté des propos utilisés – propos qui tranchaient avec le style de l'homme consensuel, de force tranquille qui avait toujours caractérisé le président Chadli – qu'il était résolu à donner un grand coup de pied dans la fourmilière FLN pour faire avancer les réformes économiques, du système de l'éducation, réhabiliter les compétences aux postes de responsabilités de l'Etat ? Trop tôt ou trop tard, le fait est que le discours qui était censé provoquer un électrochoc dans la société et susciter une adhésion massive des citoyens et des militants du parti s'était transformé en tombeau pour le président Chadli. Il n'avait réussi ni à séduire les Algériens durement affectés par les effets de la grave crise économique dans laquelle était plongé le pays, conséquence d'une baisse drastique du prix du baril de pétrole qui plafonnait à 12 dollars, doublée d'une gabegie dans la gestion des affaires du pays, ni à susciter l'adhésion du parti, du moins « l'aile réformatrice » sur laquelle il comptait pour concrétiser les réformes envisagées. Pas plus qu'il n'avait réussi à neutraliser ses adversaires pour lesquels les attaques en règle contenues dans le discours valaient rupture du fragile consensus dans laquelle baignait la maison FLN. « Que celui qui est incapable d'accomplir son devoir ait le courage de reconnaître son incapacité, car nul n'est indispensable. Que certains rejoignent l'autre bord et lancent des critiques, cela me paraît inacceptable. Nous n'accepterons jamais que ces individus demeurent au sein de l'appareil en semant le doute. » Le discours est ainsi truffé de critiques acerbes à l'encontre de certaines forces n'hésitant pas à être plus précis encore pour indiquer que « ces responsables exercent au sommet de l'Etat, au sein d'institutions du parti et du gouvernement ou dans d'autres structures. » Pêle-mêle, le président Chadli dénoncera dans des termes virulents l'enrichissement rapide, le gaspillage, les lenteurs bureaucratiques, les responsables en cols blancs qui « préfèrent rester dans les bureaux », l'inertie, le monopole de l'autorité, l'instabilité des prix « en l'absence des instances de l'Etat, l'incompétence à tous les niveaux, le clanisme, la presse nationale qui “doit s'écarter du style démagogique'', les rumeurs colportées par des milieux “malintentionnés” sur la dévaluation du dinar... » Discours testamentaire Un président seul, incompris et non écouté par son peuple : c'est l'image que le président Chadli reflétait à travers ce discours testamentaire par lequel il voulait se donner bonne conscience en laissant croire qu'il avait fait son devoir et que les forces du mal qui rongent le pays sont à chercher ailleurs. Même les citoyens en auront pour leurs frais. Les émigrés rendus responsables de la dévaluation du dinar et qui travaillent contre les intérêts de leur pays en alimentant le marché noir de la devise, les parents d'élèves qui ont manifesté contre la fermeture du lycée français d'Alger, sommés de partir avec leurs enfants vivre là où ils se sentent mieux, doutant de leur algérianité, de leur patriotisme et de leur attachement aux constantes nationales, les Algériens qui revendiquent une augmentation de l'allocation touristique. Un discours d'adieu avant la lettre : c'est l'impression qu'avait laissée le président Chadli à la lumière de ce discours. Lors du 4e congrès il avait « supplié » les congressiste de lui donner sa liberté pour rempiler ; il avait fait mouche en se faisant plébisciter comme candidat unique du FLN à un second mandat. Cette fois-ci, le contexte a changé, les aspirations au changement dans tous les domaines, politique avec le vent de démocratisation qui soufflait dans le monde, économique, pour plus de justice sociale et de liberté se font de plus en plus pressantes et appelaient non pas des changements dans la continuité selon la formule consacrée, mais une rupture systémique avec le système en place. C'est ce qui arriva dans le chaos-programmé ?