« Octobre 1988 était synonyme d'un sursaut démocratique », affirment les uns. « Non ! Ce sont des événements manipulés et ils ne représentaient pas une révolution démocratique », rétorquent les autres. Une vingtaine d'années après les événements tragiques du 5 octobre 1988, on n'arrive toujours pas à s'entendre sur leur origine et leur nature. La grille de lecture varie selon la position de son auteur ; au sein du pouvoir ou dans l'opposition. Toutefois, la thèse du complot et de la lutte des clans est toujours évoquée. Mais personne ne conteste, aujourd'hui, le fait que l'ouverture politique connue par le pays après l'adoption de la constitution du 23 février 1989, était une conséquence des événements d'octobre 1988. Des événements qui ont confirmé deux réalités jusque-là ignorées : absence d'une organisation capable de s'affirmer en tant que force politique en mesure de canaliser le mouvement social de l'époque et la montée de l'islamisme. Deux vérités ignorées par les responsables du parti unique, le FLN. Car les partis de l'opposition, créés par des chefs historiques et des organisations islamistes existaient bien avant cette date. Les différents textes de la révolution nationale et notamment le congrès de tripoli (Libye) avait examiné le projet de rétablir le multipartisme trois années après la proclamation de l'indépendance. Il n'en fut rien. Les luttes pour le pouvoir n'ont pas favorisé la dissolution du FLN pour permettre aux diverses tendances qui le composent de lancer leurs propres formations politiques. Place, donc, à l'exercice politique dans la clandestinité. De nombreuses figures emblématiques de la lutte de Libération se sont retrouvées en dehors du pouvoir et contre les tenants du pouvoir. Elles se sont organisées dans la clandestinité. L'ouverture décidée avant le 5 octobre ? Le premier parti d'opposition à être lancé est le front des forces socialiste (FFS) en 1963. A ce moment, beaucoup de militants du parti du peuple algérien et d'anciens militants du Parti communiste algérien ont adhéré au FLN. Le coup d'Etat de 1965 a favorisé également la création de l'organisation de la résistance populaire (ORP) par des militants de gauche du FLN. En janvier 1966, des anciens du parti communiste algérien ont lancé, eux aussi, le parti de l'avant-garde socialiste (PAGS). Le président déchu Ahmed Ben Bella a, de son côté, créé le MDA. Les partis de l'opposition démocratique existent donc dès les premières années de l'indépendance, mais sans influence sur la nature du système du parti unique qui a muselé toutes les voies discordantes. La forte présence de la police politique, la force de l'appareil du parti unique et le manque de moyens ont empêché ces partis de s'exprimer et de mener des actions organisées. La répression de toutes les voix discordantes et le musellement des organisations à caractère politique et des droits de l'homme se sont accentués dans les années 1980, notamment durant les deux dernières années ayant précédé les événements du 5 octobre 1988. Parallèlement, l'islamisme politique gagne du terrain. Ses premières manifestations remontent en effet à 1963 avec la fondation de l'Association Al Qiyam Al Islamya (les valeurs islamiques) et il prend les premières formes de violence avec l'affaire Bouyali. Ce sont les islamistes qui ont profité le plus de ces événements. Ces derniers ont mis à leur profit les mosquées pour renforcer leurs rangs et exercer leur forcing sur un pouvoir affaibli et dépassé par la situation. Cependant, l'ouverture politique intervenue après les émeutes d'octobre a été décidée par le président Chadli et son gouvernement avant ces événements. C'est ce qu'il a, lui-même, avoué dans son discours du 9 octobre 1988. « Ma conviction est qu'il est temps d'introduire les réformes nécessaires, même dans le domaine politique, donc de revoir certaines structures et fondements constitutionnels pour les adapter à la nouvelle étape (…). Je n'avais pas abordé ce sujet lors de mon dernier discours (du 19 septembre 1988, ndlr), car je pensais que le moment n'était pas opportun. Nous avions l'intention de choisir le moment propice pour le proposer au peuple (…). Je ne crois pas aux réformes improvisées », avait affirmé le président Chadli. Mais les réformes évoquées par Chadli ne projettent pas d'entamer l'aventure du multipartisme dans l'immédiat. Les réformes concernant le volet politique portent en particulier sur la transformation du parti en un front. Une option posée comme une étape transitoire. Le texte des réformes a exclu, dans ce sens, l'instauration du multipartisme « dès le départ ». Le multipartisme est-il mal préparé ? C'est ce que pense, en tout cas, l'ancien chef du gouvernement Mouloud Hamrouche. Dans une déclaration à la presse faite en 2007, ce dernier avait affirmé que l'agrément des partis politiques ne devait pas se faire avant la mise en œuvre du programme des réformes. « Dès que j'ai commencé à appliquer ce programme, on a commencé à agréer les partis », avait souligné. L'ouverture a eu bel et bien lieu. Le multipartisme a donné naissance à de nombreux partis d'opposition, mais aussi à de redoutables partis islamistes qui ont échappé à tout contrôle et menacé, par la suite, même la démocratie qui leur a permis d'exister en tant force politique. Et la démocratie algérienne n'a duré que deux ans. La suite est connue de tous… Aujourd'hui encore, aucune avancée n'a été réalisée. Pis encore, le concept de la démocratie est galvaudé. L'exercice de la politique est complètement verrouillé.