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Fatima Besnaci-Lancou (Présidente de l'association Harkis et Droits de l'homme) : « 40 ans après l'indépendance de l'Algérie, il est temps d'introduire la nuance »
Comment est née l'idée de cette manifestation ? L'association Harkis et droits de l'homme travaille sur la mémoire, placée dans le contexte global de la colonisation. On ne veut surtout pas essentialiser. L'histoire des harkis reste une tragédie parmi celles engendrées par le système colonial et la guerre d'Algérie. Est-ce que ce ne sera pas la première fois qu'il y aura un événement aussi marquant qui replace, comme vous le dites, la question des harkis dans un contexte global ? De cette importance, oui. Le 4 mars 2006, une rencontre à l'Assemblée nationale avait pour thème « Les harkis dans la colonisation et ses suites », avec Mohamed Harbi et Ali Haroun, en présence des acteurs et descendants de cette époque. Et les Algériens étaient les bienvenus. Se réunir chacun de son côté pour parler de son histoire sans la confronter à l'autre, cela ressemble, surtout pour moi, à de la psychothérapie de groupe. Il y a une soixantaine de spécialistes divers et variés qui vont intervenir au mois d'octobre, Français et Algériens. Est-ce que cela a été difficile de les inciter à venir ? Globalement, cela a plutôt été facile. Je pense en fait qu'on est à un tournant. Même s'il y a encore des crispations, notamment au niveau des gouvernants, de part et d'autre. La loi sur « les bienfaits de la colonisation » de février 2005 n'a pas aidé. Mais, par ailleurs, il y a un besoin de connaître les « histoires » dans leur globalité. Du côté algérien, nous recevons des appels favorables qui nous encouragent à aller dans ce sens. Un jour, une jeune femme m'a appelé d'Algérie pour me parler de son histoire de fille de chahid, disant sa volonté d'aller de l'avant. Et elle m'a dit une phrase qui m'a interpellée : « L'Algérie mérite qu'on se batte pour elle, et les haines n'ont jamais rien apporté. » Ce n'est donc pas la seule volonté de notre association d'aller en ce sens. Cela veut-il dire que cette rencontre arrive en temps opportun ? Disons que de part et d'autre de la Méditerranée, les gens ont besoin de construire et de construire positivement. Pour atteindre cet objectif, tous les drames humains doivent être reconnus et les tentatives de manipulation de l'histoire déjouées. Pour notre part par exemple, nous sommes montés au créneau pour que l'article 4 de la loi de février 2005 soit abrogé. Savez-vous que nous avons été parmi les premiers à réagir, avant le collectif d'historiens et des associations des droits de l'homme ? Notre initiative s'inscrit dans quelque chose de solide, d'enraciné, qui ne doit rien au hasard. Nous ne nous sommes pas réveillés, il y a deux ans en se disant : « Tiens, on va faire ça. » C'est tout un état d'esprit qui anime chaque membre de l'association, avec lucidité me semble-t-il. Maintenant, les gens nous connaissent et savent notre volonté d'aller de l'avant, d'essayer d'apaiser les mémoires, sans renier le passé. Tout est réfléchi, pesé. L'association Harkis et droits de l'homme, qui est la locomotive de ce projet, a ainsi obtenu le concours de multiples partenaires, dont plusieurs syndicats de l'éducation, ce qui est vraiment une première essentielle. Justement, quelles retombées attendez-vous de cet événement ? Nous espérons qu'il donnera à d'autres des idées de rencontres et de débats pour aller toujours plus loin. Sans être obligés d'être d'accord sur tout, on peut débattre en écoutant l'autre. C'est comme ça qu'on avance, car personne ne peut changer l'histoire et les douleurs provoquées par le colonialisme. Ce serait un beau résultat d'ouvrir une voie, de dépasser des tabous et de battre en brèche certaines idées reçues. Pour l'instant, l'histoire franco-algérienne est malheureusement écrite de façon manichéenne. C'est ou tout blanc ou tout noir. 40 ans après l'indépendance de l'Algérie, il serait temps d'introduire la nuance qui est plus que jamais nécessaire. Par exemple, qu'est-ce qui a amené une frange de la population, généralement paysanne et très pauvre, à se retrouver du côté du colonisateur et qu'est-ce qu'il y a derrière ? Cela renvoie peut-être aussi à la manière dont la révolution algérienne est écrite. Qu'en pensez-vous ?Oui, je pense que ce ne sont pas seulement les harkis qui sont concernés. En Algérie aussi, il y a des injustices de cette réécriture déformée de l'histoire. C'est pourquoi, il faut qu'un jour les historiens des deux côtés de la Méditerranée, non idéologues, sérieux et solides, avancent ensemble dans l'écriture de cette histoire. Les choses se détendront avec les nouvelles générations. Plus tôt cela sera fait, mieux ce sera. Que l'Algérie trouve la paix en elle-même ! C'est un pays qui souffre tellement, et c'est dommage ! Quand on fait le constat d'un drame, qu'est-ce qu'on a comme option : la fascination pour la haine ou bien l'option de construire la paix. Ça, c'est des choix.