Fatima Lancou-Besnaci, présidente de l'Association harkis, droits de l'homme et fille de harki, nous livre sa réaction aux déclarations faites par le président Bouteflika à Oran sur les enfants de harkis. Elle expose son point de vue sur la question des harkis. Réagissant aux déclarations à Oran du président Bouteflika au sujet des enfants de harkis, Fatima Lancou-Besnaci, présidente de l'Association harkis, droits de l'homme et fille de harki, nous affirme : « Tout geste de paix, de justice me va droit au cœur, mais ce qui me semble incroyable en tant que fille de harki, c'est que je ne savais pas que j'étais interdite d'aller en Algérie. Ce qui m'apparaît comme nouveau, c'est que ce soit dit par M. Bouteflika qui, en juin 2000 avait traité les harkis de ‘‘collabos''. Il y a un pas important. » Précisant qu'elle ne parle pas au nom de tous les harkis et de leurs familles, mais au nom de son association, Fatima Lancou-Besnaci ajoute : « Personnellement je n'attends pas un pardon, je n'ai rien à me faire pardonner, il y a eu des exactions partout, les plaies sont de part et d'autre. » Ce qu'elle affirme attendre, par contre, c'est « qu'on puisse ouvrir les archives aux historiens, qu'on puisse entendre des témoins, que les vérités soient dites, que l'on sorte de la passion et de gestes idéologiques, qu'on replace les harkis dans le contexte global de la colonisation et dans un contexte de guerre ». Fatima Lancou-Besnaci s'insurge contre le terme de « collaborateurs » accolé aux harkis et le réfute, car selon elle « d'abord on ne peut pas comparer la guerre d'Algérie avec ce qui s'est passé pendant la Deuxième Guerre mondiale. La guerre d'Algérie a été aussi une guerre fratricide. Et cette guerre-là a été terrible. La guerre d'Algérie, comme toutes les guerres, je la déplore, je condamne toutes les violences. C'est vrai que le FLN n'avait pas les armes d'un pays puissant, donc quelque part la fin justifiait les moyens. Il ne me viendrait pas à l'esprit de discréditer le FLN, je ne fais pas partie de ceux qui disent : ‘‘les gens du FLN c'étaient des violents.'' Parmi eux hélas, et à cause d'eux il y a eu une partie de la population qui a basculé du côté de l'armée française. » Pour Fatima Lancou-Besnaci, « la vraie question à se poser aujourd'hui, c'est pourquoi il y avait plus d'Algériens dans l'armée française que dans le maquis. Je ne suis pas historienne, mais je suis en train de faire un travail de recueil de témoignages. Avec deux autres filles de harkis, d'ici la fin de l'année je vais publier un livre sur les mères. Et on est très loin de la collaboration. C'est vrai qu'il y a des Algériens qui ont choisi de rester Français, ce n'est pas mon avis. Je pense que les indigènes n'ont jamais vraiment été considérés comme Français, mais certains ont choisi ; mais comparer les harkis à des collabos, c'est faux et c'est extrêmement dangereux, pour la paix et la sérénité algériennes ». Et de dire que des témoignages qu'elle a recueillis il ressort qu'« un bon pourcentage de ceux qui ont rejoint l'armée française, l'ont fait à cause d'un membre de leur famille qui a été tué par le FLN. Il y a aussi ceux qui ont été enrôlés pour un salaire, j'en ai découvert beaucoup, qu'on a recruté dans les villages de regroupement ». « Il faut qu'on sache qui sont les harkis » Fatima Lancou-Besnaci affirme que son Association harkis, droits de l'homme a été créée pour demander à l'Etat français de reconnaître sa responsabilité dans le drame des harkis, « pas par des médailles ou des stèles, mais de reconnaître ce drame humain qui a été généré par la politique française de l'époque (droite et gauche). Les premières harka reviennent à la gauche ». « En tant que fille de harki, si j'avais quelque chose à demander aux hommes politiques algériens, c'est de ne pas instrumentaliser le problème harki en Algérie et de faire une place aux familles qui sont restées là-bas, de les regarder comme ils sont réellement, c'est-à-dire qu'à un moment donné, leur vie a basculé, et ce n'est pas vraiment un choix. Il n'y a pas une semaine qu'on ne reçoive un e-mail ou un coup de fil d'Algérie disant : ‘‘On est des enfants (ou) des petits enfants de harkis, on est montrés du doigt, c'est une marque d'infamie, faites quelque chose pour nous.'' » « Il faut qu'on sache qui sont les harkis. C'est un travail d'historiens, ou tout simplement de témoins. Les harkis, c'étaient des militaires, des hommes qui faisaient une guerre, et dans les parties il y a eu des hommes qui se sont mal conduits. Mohamed Harbi a parlé de code de l'honneur. La violence était partagée. » « Comme dit Mohamed Harbi, une guerre a une fin. » « Les blessures sont de part et d'autre. Un enfant de chahid a toute ma compassion, et je condamne la personne qui a tué son père. J'ai envie aussi que les Algériens voient ma blessure. S'il devait y avoir un pardon, c'est de part et d'autre. Ce qu'il faut condamner, c'est la colonisation. Cette guerre coloniale qui a été terrible et qui a généré des choses qui sont aberrantes. Parmi les femmes qui ont témoigné, il y a une fille de chahid qui est femme de harki et mère de chahid. Qu'est-ce qu'on fait de cette histoire-là ? » « Je me sentirai absolument libérée dans le sens psychologique d'aller et venir vers ce pays qui est mon pays natal le jour où on aura vraiment rendu leur place à ces hommes, qu'on sache réellement qui ils sont, et que eux aussi puissent circuler librement, et ceux qui le souhaitent puissent se faire enterrer en Algérie. Le jour où les décideurs algériens arrêteront de renvoyer les cercueils, ce sera une piste de sérénité. » Fatima Lancou-Besnaci nous rappelle qu'avec des enfants issus de l'immigration, elle a participé à la rédaction du manifeste de la réappropriation des mémoires confisquées, fin 2003. Les initiateurs du manifeste considèrent que « c'est dans l'intérêt des deux pays, de leur cohésion nationale, que ce travail de mémoire doit se faire, et c'est à ce prix qu'une réconciliation franco-algérienne solide, respectueuse des identités et des mémoires de chacun, pourra voir le jour ».