Sommés d'être présents au siège de la wilaya à 7h, l'ensemble des directeurs de l'exécutif et les élus ont dû attendre jusqu'à 14h pour être dirigés vers la salle de conférences, où devait se tenir la réunion avec le chef du gouvernement et la délégation de 12 ministres (Intérieur et collectivités locales, Solidarité, Hydraulique, Agriculture, Education, Santé, Télécommunications et Energie) qui l'accompagnait. Ghardaïa . De notre envoyée spéciale Après avoir survolé les zones sinistrées à bord d'un hélicoptère, le chef du gouvernement s'est rendu à la direction des affaires religieuses, où il a rencontré des notables de la région qui l'ont interpellé sur le dysfonctionnement dans la distribution des aides. Ensuite, il a effectué une visite rapide aux quartiers Hadj Hamou et El Ghaba où les eaux ont provoqué des dégâts considérables. A El Ghaba, la colère s'est mêlée au désespoir. Voulant à tout prix exprimer leur désarroi et leur indignation face à la situation d'abandon dans laquelle ils ont été maintenus durant les cinq jours qui ont suivi les inondations, les sinistrés se sont violemment bousculés devant la délégation, provoquant une véritable anarchie. L'un d'entre eux a interpellé le ministre de l'Intérieur, lui reprochant de n'avoir pas déclaré la région zone sinistrée. Les interventions étaient tellement violentes que personne ne pouvait se faire entendre, ce qui a poussé la délégation à écourter sa visite pour rejoindre les cadres locaux qui l'attendaient depuis des heures à la wilaya. Devant eux, il a annoncé la tenue d'un conseil de gouvernement demain, consacré à la catastrophe et où des mesures concrètes seront prises. Après une minute de silence à la mémoire des victimes, Ahmed Ouyahia a tenu à réaffirmer la volonté de l'Etat d'aider les sinistrés. « Nous sommes là pour trois raisons. d'abord, réaffirmer le soutien de l'Etat aux efforts des autorités locales dans la gestion de la catastrophe, ensuite, évaluer concrètement la situation et, enfin, annoncer que des mesures seront prises. » La visite éclair de la délégation gouvernementale a ravivé le sentiment d'abandon chez les familles. Livrées à elles-mêmes depuis le premier jour de la catastrophe, celles-ci n'ont pu survivre que grâce aux dons collectés par la communauté, alors que des quantités considérables de dons acheminés vers la wilaya sont toujours stockées à l'aéroport et à la salle omnisport. Samedi soir, à la veille de la visite du chef du gouvernement, un seul camion a été acheminé vers les quartiers d'El Ghaba, où près de 3000 familles, privées de toit, de vêtements et de nourriture ont réussi à survivre grâce à la solidarité communautaire. Quelque 250 familles, notamment des femmes et des enfants, se sont entassées dans les sept classes d'une école coranique privée. C'est seulement hier qu'une équipe médicale dépêchée par le ministère de la Santé a entamé la vaccination, surtout des enfants, contre la rougeole, la méningite, la diphtérie et le tétanos. LES BANDITS ENTRENT EN JEU Dans ces lieux, les conditions de vie sont vraiment insoutenables. Les lits utilisés dans la salle qui sert d'infirmerie sont en fait les civières en bois ayant servi au transport de dépouilles mortelles. « Deux femmes enceintes ont été transportées sur ces civières et nous savons que cette épreuve a été très dure pour elles. De plus, nous n'avons ni ambulance, ni couverture, ni matelas. Femmes et enfants dorment à même le sol sur des tapis en plastique. Certains enfants ont été piqués par des scorpions et d'autres souffrent de malnutrition. A ce jour, sur les 3000 bouteilles de gaz acheminées vers Ghardaïa, aucune n'a été livrée à la population d'El Ghaba. Nous sommes totalement abandonnés. Ils nous ont déclaré que trois camions de dons avaient été dépêchés samedi soir. Seulement un seul est arrivé à destination. Où a-t-il été acheminé ? », a déclaré Kouta Omar, un père sinistré, membre d'une des associations d'el Ghaba. L'école abrite une partie infime des sinistrés des quartiers de Bouchemdjane, Ablouate, Aoudjrinte, Chaâba et Aghil Amelal. Un membre du Croissant-rouge (CRA), sinistré lui aussi, a dénoncé violemment le traitement de l'information sur cette catastrophe, en affirmant que le bilan en pertes humaines est de loin plus important que celui annoncé par les autorités. « Uniquement à El ghaba, nous avons enregistré 40 morts. Alors, comment voulez-vous que le nombre de décès soit de 34 sachant qu'à Metlili, il y a eu 12 morts et ailleurs également. Sachez aussi qu'il y a des familles mozabites qui ont enterré leurs morts seules. La tragédie ne leur a pas laissé le temps de déclarer les décès. Le bilan de cette catastrophe est de loin très lourd, peut-être même plus d'une centaine », a affirmé notre interlocuteur. En fait, ces mêmes propos ont été tenus par d'autres sinistrés qui travaillent dans la palmeraie inondée. Selon eux, le bilan des disparus va peut-être dépasser la cinquantaine. « De nombreux ouvriers, venus du Mali et d'Adrar, travaillent dans les palmeraies de la vallée du M'zab. Ils n'ont jamais été déclarés. Comme c'est la saison de récolte des dattes, leur nombre s'est multiplié. A la veille de l'Aïd, ils étaient tous là. Ils ont certainement été emportés par les eaux et il n'y aura personne pour les déclarer », a révélé un agriculteur d'El Ghaba. D'autres sinistrés, membres des comités de quartier ont averti quant au phénomène du banditisme apparu depuis la catastrophe. « Nous acheminons les aides des particuliers par les collines rocheuses, parce que les voies d'accès sont toujours bloquées ; mais à chaque fois, nous sommes braqués par des pilleurs qui emportent tout ce qu'ils trouvent. Il n'y a aucune sécurité sur les routes d'El Ghaba, ni gendarmerie ni police. La sécurité dans les regroupements des sinistrés est assurée par nos volontaires, des jeunes de la communauté. Si la situation persiste, nous allons vers une autre catastrophe… », a alerté un sexagénaire. En fait, ce sont toutes ces difficultés que la population d'El Ghaba a voulu exposer au chef du gouvernement, en vain. La colère était telle qu'elle n'a pas laissé place à la raison. D'ailleurs, certains membres d'association ont fini par rejoindre la salle de conférence au siège de la wilaya pour tenter de parler au premier responsable du gouvernement. « Nous sommes des Algériens et nous avons le droit comme tout le monde de parler au chef du gouvernement. Cela fait cinq jours que nous ne recevons rien de l'Etat. Où partent les aides ? Pourquoi sommes-nous oubliés ? », crie Omar Kouta, empêché d'accéder à la salle, où seuls les porteurs de badges, sont autorisés à entrer. D'autres sinistrés s'en sont violemment pris aux autorités, les accusant d'avoir fait dans « la ségrégation » en ce qui concerne la gestion de l'aide.