C'était un rêve de gamin. Lancer un album de bande dessinée inédit en Algérie, qui plus est adapté d'un roman de Yasmina Khadra, est, pour Lazhari Labter, une aventure à la fois professionnelle et affective. Alors que s'ouvre aujourd'hui un nouveau Festival international de la bande dessinée d'Alger (FIBDA), le directeur des éditions Alpha, désormais également directeur de sa propre maison d'édition, va faire la promotion de son premier opus à bulles, Le Dingue au bistouri (voir planche page ci-contre). Un événement dans l'histoire de la BD en Algérie, absente du paysage éditorial depuis les années 1980. Le dernier festival qui lui a été consacré remonte d'ailleurs à… 1988. C'est que le neuvième art, contrairement au dessin de presse et à la caricature, n'a jamais vraiment trouvé son créneau, plombé par des années d'interdiction de territoire et trop coûteux à fabriquer pour les éditeurs. « Pourtant, nous avons une vraie culture de la bande dessinée », affirme Lazhari Labter. « Certains bédéistes algériens ont été primés en 1983 au festival de Lucca, en Italie. Mieux, certains ont contribué à former d'autres dessinateurs du monde arabe. » Les différentes tentatives de revues ou de planches le prouvent, à l'image de Naâr, une sirène à Sidi Ferruch (parue dans l'hebdomadaire Algérie Actualité en 1967 sous la plume de Mohamed Aram), de M'Quidech (la première revue de BD parue en 1969) par Maz, Slim et Aram, qui disparaîtra en 1974, puis reviendra un temps en arabe en 1978, ou des initiatives avortées du ministère de l'Environnement avec Ibtacim, du ministère des Moudjahidine avec Tariq, ou même de la Gendarmerie nationale avec Baroud. « Nous sommes nombreux à avoir appris à lire avec des bandes dessinées, ce qu'on appelait ‘mikiyettes dans les années 1960, poursuit Lazhari. Ces petits formats venaient d'Italie, de France et étaient destinés aux pieds-noirs, mais on les trouvait dans tous les kiosques, jusque dans les petits villes et les villages ! » Alors, un festival peut-il faire renaître la BD ? “« Là n'est pas notre objectif », explique Abderahmane Djelfaoui, directeur des relations publiques du festival. « Nous voulons surtout favoriser les échanges entres les jeunes, les éditeurs. C'est clair qu'au départ, on sort un peu du néant. Mais en même temps, on s'est rendus compte en mettant sur les rails le festival, que la BD n'est pas morte. Il y a toute une génération underground de jeunes vraiment talentueux qui, sans école, sans support, sans moyens, ont envoyé des dessins d'une qualité plus qu'honorable. » Les trois concours organisés à l'occasion du FIBDA ont reçu plus de 200 inscriptions, 160 pour les jeunes talents et les scolaires et 48 pour l'affiche. 26 à 27 pays africains, européens, d'Amérique latine sont représentés. UN GAG Ceux qui croient au renouveau de la bande dessinée insistent sur le changement de contexte. « Avant, les BD circulaient sous le manteau, poursuit M. Djelfaoui. Or, ce qui fait la force de la BD, c'est la liberté. Aujourd'hui, les libertés existent. Le contexte mondial, lui aussi, a changé : avant on travaillait une BD dans son coin, aujourd'hui, le croisement des arts est devenu une nécessité. Un dessinateur doit travailler avec un coloriste, un infographe, des spécialistes du dialogue… la chaîne d'artistes et d'artisans est de plus en plus longue. » Lazhari Labter partage aussi ce point de vue : « La BD est un art à part entière : des chaires universitaires, des encyclopédies, des thèses… lui sont consacrées. L'image de la BD à lire en cachette, pour des gens un peu “dérangés”, c'est fini. » Sur le réservoir de talents dormants, Maz, dessinateur d'El Watan, est plus nuancé : « C'est vrai, il y a beaucoup de jeunes qui dessinent très bien mais ils n'ont pas la technique de base de la narration en images, que nous n'avions pas non plus dans les années 1970 mais que nous avons apprise avec nos copains cinéastes et réalisateurs. » Notre autre dessinateur, Zino, pour d'autres raisons, lui, n'y croit plus : « Organiser un festival de la BD alors que la BD n'existe pas, c'est un gag ! La bande dessinée a été cassée dans les années 1980 par des considérations d'ordre politique, au même titre que toutes les expressions artistiques, et il faudrait des années avant qu'elle retrouve son lectorat. » « Il faudrait recréer le réflexe de l'achat, ajoute-t-il, inciter les enfants dans les écoles à lire des bandes dessinées. Quant aux éditeurs, ils ne s'y aventurent pas et ce n'est pas un hasard, ils savent qu'ils s'y casseraient les dents ! » Lazhari Labter, pour sa part, n'en démord pas : « S'il y a une réflexion menée dans ce sens et une équipe sérieuse qui se lance, la BD pourra même marcher très fort, car il y a des lecteurs de tous âges. Ce qui est extraordinaire, c'est qu'on a privé les Algériens, de 1966 à presque 2006, d'un art d'ouverture sur le monde, d'enfance, de rêve et malgré cela, ils ont continué à dessiner et à lire ! » Reste à trouver le plus important : l'argent. « Car la BD revient cher, souligne Maz. Il y a quelques années, nous avions fait des calculs. Une petite revue mensuelle revient au moins à 100 DA. La question est : est-ce que cette somme est à la portée d'un enfant ? La bande dessinée a vraiment besoin d'argent et de soutien. L'éditeur tunisien de Kaous Kouzah, par exemple, ne paie pas pratiquement pas d'impôt… » Lazhari Labter choisit de rester optimiste : « Un album coûte cher s'il est entièrement en couleur, bien sûr ! Mais en noir et blanc, qu'on imprime cent pages de roman ou cent pages de BD, c'est pratiquement la même chose. Les journaux, qui font des suppléments culturels ou télé, pourraient même les soutenir ! » Pour M. Djelfaoui du FIBDA : « nous n'avons pas d'autre alternative que de développer la bande dessinée, en pleine explosion ailleurs dans le monde. On ne peut pas vouloir un projet de société axé sur la modernité sans développer les soubassements des loisirs. Plus on développera la culture en général, plus on s'acceptera et on révélera le travail, les potentialités des jeunes et, ainsi, en faire de véritables citoyens ».