L'Europe a-t-elle une politique étrangère, si oui, de quelle manière se décline-t-elle ? Très officiellement, l'Union européenne répond par l'affirmative, et comme s'il s'agissait de confirmer un tel point de vue, une ONG, Thomson Foundation, basée en Grande-Bretagne, a pris sur elle d'en examiner au moins un volet. Il s'agit du rôle de l'union européenne dans le règlement du conflit du proche-orient, un thème débattu par de nombreux experts, en fait des personnes de terrain très proches des dossiers qu'elles abordent. Ce sont des hommes politques et des universitaires libanais qui se sont fait fort d'établir le lien entre différents aspects des crises libanaise et palestinienne, notamment la question des réfugiés vivant au Liban. Ce sont aussi, puisque la question les concerne au premier plan, des ambassadeurs comme celui de Grande-Bretagne ou de l'union européenne notamment, qui apportent un certain éclairage. Avec les précautions qu'il faut, afin de ne pas compromettre un processus qui s'avère délicat en fin de compte. Forte économiquement, l'Europe revendique, aujourd'hui, un statut au plan international même si elle a tenté, tant bien que mal, de l'assumer dans des crises qui se sont déroulées sur son territoire. Longtemps maintenu à l'écart des questions du monde, le Vieux continent aspire à jouer un rôle qui lui permettrait, en même temps d'assumer par lui-même des tâches qui le concernent en premier lieu, cela alimentant le discours ambiant. Cela s'est vérifié lors de la première conférence ministérielle euro-méditerranéenne à Barcelone en 1995, où il n'était pas question uniquement d'échanges commerciaux, puisque la sécurité, dans son acception la plus large, apparaissait comme une préoccupation la mieux partagée. Il est vrai que Barcelone, qui n'est qu'une déclaration de foi, intervenait juste après la conclusion de l'accord israélo-palestinien de 1993, et les participants à cette conférence ont alors adopté une plate-forme doctrinale incluant des mesures de confiance. Un engagement de principe, car cela dépendait de l'application du fameux accord d'Oslo. C'est certainement le vœu le mieux partagé, mais comment en faire plus quand le texte, qui a engendré cet espoir, a été mis en échec par la volonté d'une seule partie ? Il s'agit bien entendu d'Israël qui en est à contrarier la volonté de paix de toute une région, jusqu'à menacer sa sécurité et sa stabilité, et sans que l'Europe en désigne le coupable, se contentant de renvoyer dos à dos les deux parties. Ou pire encore, en tentant de réécrire les termes de ce conflit sans référence aucune à l'occupation israélienne. On se rappelle, pourtant, que les participants à la conférence de Barcelone ont clairement fait connaître leur perception d'une telle approche, celle-ci étant supposée établir la paix dans la région, par la satisfaction des droits nationaux du peuple palestinien, et non pas, ce que certains parmi les européens appellent une solution politiquement viable, alors même que le cadre du règlement est fixé par l'onu. C'est dans cette voie que se sont engagés certains intervenants. Comme l'ancien ministre libanais des finances. Jeune et débordant d'idées, Jihad Azrou qui incarne visiblement un certain renouveau de la classe politique libanaise, est allé droit au but. Le Liban, dira-t-il, demande le soutien international afin de faire valoir sa souveraineté et son indépendance. Ce qui correspond en tous points à la doctrine des Nations unies. Un objectif précis et visiblement accessible dans la logique des choses. Mais aussi une approche précise, puisque notre interlocuteur appellera l'UE à éviter le va-et-vient entre les parties libanaises et réduire au contraire les ingérences étrangères. Parce que, dira le jeune responsable libanais, comme pour résumer ce qui semble un consensus national, le Liban refuse d'être l'épicentre des puissances de la région. L'universitaire, Walid Arbid, est heureux de constater qu'il y a convergence d'intérêts et d'objectifs. Le Liban veut la paix et l'Europe est en quête d'un espace stratégique, serions-nous tenté de préciser. cette quête va dans le sens de la déclaration de Barcelone qui constitue, selon ses initiateurs, le meilleur moyen de s'opposer aux forces extérieures à la Méditerranée. Il reste cependant à résoudre certaines contradictions propres aux libanais. Un point soulevé par des intervenants, qui mettent en avant la confessionnalisation du système politique libanais. Sur ce point, l'ambassadeur de l'UE au Liban, Patrick Laurent, s'est contenté de propos indirects en soulignant que le chef de l'etat libanais, Michel Sleimane, a une vision unificatrice et que l'avenir du liban passe par une réforme de la loi électorale. « Cette réforme est essentielle », dira-t-il, « sinon le Liban va continuer à se débattre dans des affres dans lesquels il est entré en 1975 et desquels il n'en n'est pas tout a fait sorti ». Une analyse, peut-être lucide mais fondamentalement pessimiste ; « plutôt réaliste », dira l'auteur de ces propos. Même constat de l'ambassadrice de Grande- Bretagne, Frances Guy, qui dit « qu'au Liban, il n'y a pas d'horizon ». Un jugement implacable avec deux axes, le premier est d'ordre local, en soulignant que le pays manque de stabilité et le second régional puisque affirmera la diplomate, le Liban dépend de plusieurs acteurs comme Israël, l'Iran, les élections américaines et la Syrie. Cela étant, et ce n'est pas peu, il revient à l'europe de fixer une doctrine avec une cohérence, ce qui suppose l'absence totale de divergences. L'ambassadrice de Grande-Bretagne au Liban a refusé d'évacuer un tel aspect qu'elle attribue au nombre élevé d'Etats membres. Naïveté ou indulgence pour ne pas compromettre un processus qui tient difficilement sur pieds ? Que deviennent, dans ce cas, les textes fondamentaux de l'Union européenne où il est davantage question de justice, car l'objectif de l'Union est d'empêcher les guerres. paradoxalement, l'Europe donne l'impression d'agir dans un périmètre restreint. Sur ce point, l'approche de Alastair Crooke, fondateur de Conflits Forum, est une forme de sentence. Selon lui, l'occident a une mauvaise approche dans le traitement des conflits asymétriques. Avant lui, se souvient-on, l'ancien secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, avait mis en garde contre ces guerres non conventionnelles, comme la résistance du peuple palestinien où les moyens ne sont pas symétriques. En ce sens, les deux ambassadeurs européens ont atténué par leurs propos le discours ambiant délibérément volontariste, en mettant en avant l'impossibilité de réunir un consensus, et de l'autre, l'introduction non déclarée bien entendu, d'un élément d'injustice, voire de traitement au cas par cas. C'est-à-dire que l'approche n'est pas la même selon les situations, en ce qui concerne la question palestinienne et le conflit du proche-orient d'une manière générale, l'Europe a fait, préalablement, un choix en s'éloignant de ses propres décisions prises il y a plus d'un quart de siècle, comme la restitution de tous les territoires occupés par Israël. Plus que cela, l'europe s'est fait déposséder de son initiative développée en 2003, sous la présidence du Danemark, et qui consistait pour la première fois à établir un plan comportant des échéances précises et la plus importante d'entre elles est l'établissement d'un Etat palestinien en 2005. Les Etats-Unis, la Russie, l'Europe ainsi que l'ONU s'associeront, formant ce qu'on a appelé le quartette, mais le plan intial a été tué. Dans le même temps, la diplomatie européenne s'inquiète de la montée de l'extrémisme, qui est le plus souvent une conséquence directe de l'injustice. C'est dans ce contexte que l'europe revendique un rôle qui soit à la mesure de son statut. Le séminaire organisé par la Fondation Thomson avait justement pour objectif d'évoquer les règlements des conflits du proche-orient avec l'aide de l'union européenne. Soit une étude de cas, ce qui laisse entendre préalablement que l'Europe a effectivement une politique étrangère. Ce qui laisse sceptique quand on sait de quelle manière l'Europe s'est exprimée à l'occasion de la guerre en Irak, suscitant des moments de panique, des coups de gueule et beaucoup d'amertume. Il s'est même trouvé un chef d'Etat pour appeler les nouveaux venus à une espèce de reconnaissance du ventre. Mais il a été précédé par les Américains et leur nouvelle vision de la vieille et nouvelle Europe. Ou encore ces propos sentencieux d'un observateur de la scène européenne soulignant que le commissaire européen chargée de la PESC (politique extérieure et de sécurité commune) ne peut intervenir sur une question précise, que lorsque les dirigeants français, allemands et britanniques se sont préalablement prononcés. Outre la pertinence du thème retenu par ce think-tank, son intérêt consistait aussi à appliquer l'approche diplomatique à une seule région, éminemment stratégique ce qui évite l'éparpillement et les généralités. Autrement dit, apporter la preuve afin d'en examiner la pertinence et le bien-fondé. C'est ainsi que les différents débats avec un bel esprit de contradiction n'ont pas manqué de mettre en relief beaucoup plus ce qui doit être fait que ce qui l'a été et de quelle manière l'Europe peut le faire. Il lui revient de se donner les moyens surtout politiques, et faire preuve de beaucoup de volonté pour se faire accepter dans ce rôle, car il faut examiner ce volet sans lequel rien ne sera fait. Des intervenants ont poliment refusé d'aborder certaines contradictions, niant même les rivalités, pourtant réelles, entre les grandes puissances. Ce n'est pas la meilleure manière de de faire avancer le débat, encore que pour la question palestinienne, il y a véritablement urgence, car l'injustice ne peut générer que le désespoir. On l'a vu, lors de notre déplacement, dans le camp de réfugiés palestiniens de Nahr el Bared, proche de Tripoli au nord-liban. « C'est choquant » et « c'est une honte », a déclaré l'ambassadrice de Grande-Bretagne lorsqu'elle a évoqué la situation des réfugiés palestiniens. Tout est là, et en ce sens l'europe peut redonner l'espoir, tout en brisant le carcan de l'humanitaire qui n'est pas la solution. Les états d'âme ne font pas une politique. Ils permettent tout juste d'aller à la rencontre de sa propre opinion publique. L'Europe a les moyens de dépasser ce constat. Elle a montré qu'elle peut le faire. Repères Prochain échange d'ambassadeurs entre la Syrie et le Liban, une première depuis 1943 Un nouveau round de dialogue national aura lieu le 5 novembre C'est la Syrie, cette fois, qui dénonce le danger qui vient, selon elle, du nord-Liban Douze millions de Libanais vivent à l'extérieur contre moins de quatre dans leur pays 35% de la population vivent en-dessous du seuil de pauvreté Les Libanais attendent avec appréhension le prochain rapport de la commission de l'ONU, chargée d'enquêter sur l'assassinat de Rafic Hariri 26% du PNB proviennent de l'extérieur Le pays continue à fonctionner avec les lois économiques des années soixante